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Critique de Michel69004


Genre: Magistral

Quel brio, quelle intelligence, quelle finesse d'analyse.

Je lis Eshkol Nevo à rebours puisque Trois étages précède La Dernière Interview et Turbulences dans leurs publications en français.
C'est sans doute celui que je conseillerais pour aborder l'oeuvre récente de Nevo.
Trois étages pour trois histoires qui ont plusieurs dénominateurs communs :
-Les trois narrateurs (Arnon, Hani, Déborah) souffrent d'une abominables solitudes.
-Ils s'adressent à un interlocuteur que nous n'entendrons jamais :
Arnon s'épanche dans un bar, monologue furieux adressé à un pote écrivain (l'auteur évidemment) qu'il n'a pas vu depuis des lustres.
Hani écrit une lettre à une vielle amie ayant quitté Israël depuis longtemps.
Déborah laisse des messages sur un vieux répondeur où résonne la voix de son mari décédé .
-Ils incarnent chacun une instance freudienne, c'est ce qu'on découvre grâce à Déborah, l'ex-juge, qui achète les oeuvres complètes de l'inventeur de la psychanalyse.
-Ils sont profondément frustrés par la vie qu'ils mènent et qu'ils ont mené. Je veux dire frustrés à tout point de vue : sexuel, social, parental, professionnel.

Arnon, l'ex-militaire, confie régulièrement sa fille ainée à un couple de retraités qui résident sur le même palier. Il devient obsédé par l'idée que le papy Herman est un pédophile et qu'il a probablement abusé sexuellement de leur fille, dans le fameux verger qu'on retrouve souvent dans les autres romans de Nevo. Il incarne le Ça.
Hani a des enfants qui ne vont pas bien et elle-même est en train de perdre le pédales. Elle n'arrive pas à rendre responsable les absences fréquentes et longues de son mari. Jusqu'au jour où le frère de celui-ci sonne à sa porte et l'entraine dans une folle histoire. Elle incarne un Moi en pleine déliquescence.
Déborah est veuve mais la voix de son mari est toujours là pour dicter des injonctions rigides sur la façon de s'habiller, l'utilisation d'internet etc… Elle est brouillée avec son fils unique pour des raisons qu'on découvrira plus loin. Mais elle décide d'aller manifester. Elle va se retrouver un peu par hasard dans « la tente des psychologues » et entend les confessions spontanées de tous ceux qui sont en panne d'écoute (comme en France aujourd'hui). Comme celle qui éprouve une violente attirance sexuelle pour son frère ainé.
Mais Déborah est un Surmoi ambulant.
Ce récit-là est particulièrement savoureux. Nevo délaisse son ironie (qui est sa marque de fabrique et qui me fait souvent rire aux éclats) et devient extrêmement émouvant lorsqu'il part sur les traces de Déborah qui recouvre sa liberté.

Ces histoires se déroulent dans le tumulte de grandes manifestations à une époque qui préfigure les évènements actuels parce qu'ils entraînent inexorablement l'état hébreux vers le sort que l'on connait.

Dans ce roman Nevo m'évoque énormément Zweig, c'est assez flagrant dans le dernier récit. Avec humour, il se met en scène pour entrelacer les fils de ses récits et nous donner à penser sur ses thèmes de prédilection : l'amour, la famille, la transmission, l'intégriste et surtout surtout la quête identitaire. Oui, c'est cela au fond: Nevo nous parle d'identités floues, rigidifiées, fracassées, multiples et éclatées. Et si ce thème est d'une acuité vive en Israël, il est, bien entendu, universel !
Magistral.
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