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Critique de Plumeetencre




Traversant près d'un siècle d'histoire vietnamienne, Pour que chantent les montagnes est une fresque familiale magnifique où l'émotion affleure à chaque page. L'existence s'y déploie dans ce qu'elle a de plus beau et tendre mais aussi de plus cruel et tragique.

À travers les destinées de deux générations de femmes dont les voix s'entremêlent, Nguyên Phan Quê Ma met en lumière les tourments endurés par tout un peuple et adresse un vibrant témoignage d'amour à sa terre natale.

*

"Nouvelles explosions. Sirènes. Cris. Odeur de brûlé suffocante."

Novembre 1972, la guerre du Vietnam fait rage. Hà Nôi ploie sous les bombardements américains. La capitale est éventrée,  dévastée, bientôt il n'y aura plus que ruines fumantes. Parmi les civils qui tentent d'échapper à ce désastre en rejoignant un village reculé de  haute montagne, se trouvent la jeune Huong 12 ans surnommée affectueusement Goyave ainsi que sa grand-mère.

"Personne ne parlait. Seuls résonnaient le bruit de nos pas et parfois les pleurs d'un bébé. La terreur et l'angoisse étaient gravées sur les visages."

Il a fallu tout laisser derrière soi, sa maison, ses objets personnels, ... en somme sa vie d'avant. Quand vient le temps du retour quelques semaines plus tard, les rescapées ne trouvent que poussières et décombres. La ville a été entièrement détruite et nombre d'habitants ont péri. Un spectacle de désolation.

"Des hurlements sont sortis du plus profond de ses entrailles, transperçant la puanteur des cadavres en décomposition, se transformant en une mer des lamentations. J'ai pleuré avec elle en dégageant les briques et les morceaux de béton. Nos doigts saignaient alors que nous cherchions ce qui pouvait être sauvé."

Une fois les larmes séchées, reste l'urgence de reconstruire et l'inébranlable volonté d'avancer. Malgré  les pertes, malgré les souffrances, malgré l'incertitude du lendemain. Pour l'aïeule, Diêu Lan, cette terrible épreuve en rappelle d'autres, plus anciennes. Des souvenirs qu'elle offrira chaque soir en partage - un leg précieux - à sa petite-fille adorée.

"La guerre se poursuivait, et ses histoires nous gardaient en vie, moi et mon espoir."

*

Donnant un rythme soutenu au récit, la narration intercale ainsi moment présent et passé conté respectivement par Huong puis son aînée. le lecteur progresse dans les couloirs du temps par aller-retour, selon une chronologie complexe s'étirant de 1930 à 2017.

Occupation française, invasion japonaise, grande famine de 1945, campagne de réforme agraire, succession de conflits sanglants, etc…l'occasion en est donnée de "vivre de l'intérieur" les nombreux bouleversements qui ont ébranlé le pays au cours du siècle dernier. Que de morts et de vies brisées…

"(...) moi qui pensais que nous étions les maîtres de notre destin, j'ai appris qu'en temps de guerre, les citoyens ordinaires ne sont plus que des feuilles balayées comme des milliers d'autres par la tempête."

Sans rien taire de la brutalité et de l'ignominie des faits, l'auteure s'attache cependant davantage à dévoiler leurs répercussions sur le territoire de l'intime, à rendre compte des cicatrices profondes laissées dans les coeurs et les esprits.

"(...) la guerre était une chose monstrueuse. Lorsqu'elle ne tuait pas ceux qu'elle touchait, elle emportait avec elle une partie de leur âme (...)."

*

Ô combien ai-je été admirative de la personnalité de Diêu Lan, la grand-mère - un trésor de sagesse, de bonté et de résilience. Figure protectrice, pilier familial, gardienne de la mémoire des générations se succédant, elle irradie par son courage et sa détermination face aux caprices intempestifs du destin.

Ô combien ai-je été touchée par la force du lien qui l'unit à sa petite Goyave. Ce dernier constitue un refuge, un Îlot réconfortant auquel se raccrocher en plein naufrage.

Ô combien ai-je été fascinée par la rencontre avec ce pays aux multiples facettes dont je connaissais finalement si peu. Élégante,  poétique et subtilement évocatrice, la plume  enchanteresse de l'auteure en exhale les couleurs, les saveurs, les sons, les odeurs - un voyage qui malgré sa tonalité dramatique  se révèle  très sensoriel. 

Captivant, émouvant, enrichissant et dépaysant, un moment de lecture empreint d'humanité. 

***

"Souviens-toi,  ma chérie. Les épreuves auxquelles le peuple vietnamien a fait face sont aussi hautes que les plus hautes montagnes. À se tenir trop près, on ne peut distinguer leur sommet. Mais lorsqu'on s'éloigne des tourments de la vie, on en voit le tout…"
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