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Critique de Thyuig


Thyuig
18 septembre 2012
On entre dans « des chiens de l'eau » par le mythe de Sisyphe. Fils d'Eole, Sisyphe est contraint par Zeus de pousser un énorme rocher jusqu'en haut d'une côte afin qu'il puisse redescendre de l'autre côté. Malheureusement, il n'y parvient jamais, le poids du rocher l'emportant à chaque fois alors qu'il se trouve proche du but.
Si cette scène inaugurale peut paraître un peu obscure de prime abord, son absurdité reste présente à la lecture de la partie suivante. Un homme marche sur une route. On apprend qu'il n'a croisé personne depuis plus de quinze jours. D'emblée, la possibilité qu'il y ai un endroit au monde où l'on puisse errer pendant deux semaines sans rencontrer âme qui vive nous renvoie immédiatement dans l'univers sinon du mythe, au moins du conte.
Cet homme porte un manteau, un sac à dos et converse à propos de rien avec un ours en peluche (le sien ?) sanglé à l'arrière de son sac à dos. Ils errent tout deux et tour à tour vont rencontrer le laid, le moche, l'affreux de la condition humaine, ses charognes.
Dans sa préface à son recueil de photos « Errance », Raymond Depardon affirme qu'il est impossible d'errer convenablement en ce monde, que l'humain en a tellement balisé les contours, que toute quête devient par essence humaine. Au regard de ceci, associé à Sisyphe, ce voyage errant tire son irréalité de son moteur même, l'errance comme impossibilité humaine. L'art de Nilsen consiste à mettre l'abstraction idéale de son récit au second plan. En se concentrant sur le dessin, sur sa sobriété formelle, en représentant un homme au milieu de la page, dans sa blancheur immaculé, Nilsen rend possible à l'intérieur de la page l'impossibilité de l'errance. En somme, rien n'est impossible pour le dessinateur.
Au final, si cet album détonne, se démarque de ses contemporains, c'est avant tout parce que l'auteur en a pensé l'absolue limite inhérente au travail du dessinateur. Il tache au travers de son travail de justifier que la bande dessinée elle-même n'est en somme qu'un vaste Sisyphe, qu'une reconstruction de chaque instant. On peut d'ailleurs étendre ce constat à chacune des tentatives humaines de s'extraire de cette réalité toute humaine.
Nilsen conclue son album en croisant les mythes du Minotaure et celui de Sisyphe. Par cet ajout, l'humour bien présent au fil des pages renforce un peu plus le côté burlesque de cette situation.
Dire qu'il faut lire « Des chiens de l'eau » comme une bande dessinée conceptuelle n'a pas de sens tant Nilsen accorde de place à la précision du trait et à la conception narrative.
Dire qu'il faut lire « Des chiens de l'eau », tout simplement.
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