Les gens se sentent toujours coupables, c'est une manière d'entretenir leur égo. p.169
Les gens s’asseyaient toujours à la même place. Ils faisaient toujours la
même chose. La répétition des actes et des mots l’angoissait. Les animaux aussi faisaient toujours la même chose. En les regardant se singer ainsi mutuellement chaque semaine, assis, insipides, patiemment soumis, Marie était de plus en plus convaincue que l’évolution des espèces ne signifiait pas le progrès : depuis qu’il avait inventé le concept ridicule et infamant d’une entité supérieure veillant sur lui, qu’il se drapait derrière un mensonge trop grand pour soi, l’homme avait entamé sa régression. De millénaire en millénaire, il redeviendrait primate,chien, porc, rat, cloporte, bactérie. Microbe parmi les microbes. On ne les différencierait plus. Organismes monocellulaires pour une monopensée.
p63 J’existe dans l’ignorance des autres. Je me dilue dans leur oubli. Je tue. Je n’existe pas. Je suis invisible. Déjà morte peut-être, mort en attente toujours, cadavre en sursis suspendu au monde, je reste dans l’ombre éveillée et seule, un couteau à la main sous le ciel gris des ponts, sereine car je vous vois tous et personne jamais ne me voit.
On dit que l'espoir fait vivre, c'est peut-être vrai, je m'en moque : ce qui est sûr, c'est qu'il ne fait pas exister. La colère, si. p.138
La mort est le dernier rempart contre l’ennui. p.123
Elle aimait les lacs, parce qu’elle savait que les morts par noyade y étaient plus nombreux que dans les mers et les océans. C’était une bonne chose. Les lacs étaient comme elle, ils tuaient par surprise, ils ne payaient pas de mine, profitaient de l’imprudence et de la bêtise des gens.
Je voudrais un monde où les assassins cacheraient leurs victimes et où le commun du peuple, de la tourbe, de la glèbe, étalerait ses cadavres sur le trottoir plutôt que de les enterrer dans des boîtes capitonnées aux poignées en laiton. Ce serait dans un futur proche, dans une époque d’angoisse, de névrose, où l’on se refuserait à nourrir les vers, de peur qu’après avoir ingéré les morts enfouis ils ne sortent des tombeaux en armée rampante pour nous dévorer. Un soir sur deux, on déposerait ses défunts avec le reste des déchets domestiques, en laissant dehors, à même le pavé, les carcasses raides et froides de ses chiards ou de ses vieux. Il n’y aurait rien de choquant à ça ; tout le monde agirait de la sorte, les rues seraient parsemées de chair inerte sous les mouchetures blanches des réverbères.
p30 Une jungle enchifrenée s’était mouchée sur les étendues de ciment, les tachant par flaques de couleurs altérées --- vert sablonneux, noir de craterelle, pourpre désuète, jaune de foie cuit, sépia maclée, blanc de liche. Les victimes fondues, informes, échouées au caniveau, bavaient des ruisseaux vivants, crachaient en continu des insectes paniqués qui s’enfuyaient aussitôt, en chasse déjà. Des fleurs, des plantes, des droséras gigantesques, s’unissaient à tous les matériaux, aux surfaces corrompues sitôt conquises, exposés aux lainages arachnéens sentant le poivre, le naphtalène, parmi les falbalas de mucus.