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Critique de dogasquet


« Tout est presque vrai dans cette fiction. »
Karyn Nishimura a mixé l'histoire réelle de plusieurs prévenues pour donner vie à Midori : une jeune femme coupable d'un triple infanticide.
Récit qui sert d'arrière-plan à l'analyse d'une face plus sombre du Japon. Tout autre que celle connue habituellement « la plus visible, la plus agréable, celle du Japon de la politesse, de la fidélité, de la serviabilité, de la gentillesse, du civisme, de la propreté, de la ponctualité, de la qualité et même de la perfection. »

L'histoire : Une famille simple, une petite fille sans histoire, Midori. A 21 ans, son histoire bascule avec le tsunami de 2011 et la catastrophe de Fukushima. Son père se suicide, comme des centaines de japonais.
L'autrice se situe dans le roman, à la première personne du singulier, « comme une journaliste française au Japon », ce qu'elle est réellement. Elle relate le procès (Midori a tué sa petite fille et deux jumeaux, encore nourrissons), et tente de mieux comprendre la personnalité et l'environnement social de Midori qui risque la peine de mort…

Percevoir à travers le personnage, la génération des 20 / 30 ans japonais. Une génération désenchantée, malléable, qui souhaite une vie tranquille et ne s'intéresse pas à la politique :
« Elle avait les faiblesses de sa génération, celle qui ne bat pas, celle qui baisse les bras. Elle aussi, au départ, voulait les trois AN : ANZEN, ANSHIN, ANTEI, sécurité, tranquillité, stabilité, cette quête des jeunes de vingt-trente ans, cette quête qui les paralyse, leur fait craindre et fuir le risque. »
« Les trois AN étaient presque devenus une réalité. Ils avaient tous au moins une promesse d'embauche des semaines ou des mois avant d'avoir fini leur cursus : plus ils étaient mous et malléables, plus ils avaient de chances d'avoir une vie professionnelle stable, la sécurité de l'emploi. »

Une personnalité que Fukushima a renversée, a mise à terre, complètement détruite par son acte. « Midori se sentit alors prise dans un engrenage. Toute la haine qu'elle avait pour elle-même se projetait sur sa fille. Et elle devint alors ce qu'elle n'aurait jamais imaginé : un monstre pour son enfant qu'elle se mit à négliger sans le vouloir pourtant. Si bien que le jour de son arrestation fut pour elle un soulagement. »

En arrière-plan de ce procès à fort retentissement, se profile également une vision politique et sociale du Japon :
- Fukushima dont l'importance a été minorée par le gouvernement.
« L'accident de Fukushima n'a donc pour ainsi dire tué personne directement. le bilan est pourtant bien différent : plus de 2500 habitants du département sont morts d'avoir été transbahutés dans des conditions ignobles lors des opérations d'évacuation, d'avoir vécu des jours interminables dans des refuges mal équipés. »
La négligence et la responsabilité de l'exploitant de la centrale. Les 3 dirigeants de Tepco, (Tokyo Electric Power) ont été innocentés par les tribunaux

- L'absence de perspectives écologiques
« le Japon est un des pays qui pâtissent le plus des effets des catastrophes naturelles d'origine météorologiques, un de ceux où les politiques parlent le moins d'écologie, de changements climatiques. »

- L'interdiction de l'avortement même si la le Japon autorise un accès à la pilule abortive, mais très encadré, depuis avril 2023.
Il existe même à 900 km à l'ouest de Tokyo, à Kumamoto, une « boîte à bébés » où les femmes peuvent déposer leur nourrisson. « Ici, se trouve un grand hôpital catholique où est installée la seule « boîte à bébés » du japon, une couveuse où on peut dignement abandonner son nourrisson, faute de pouvoir l'élever. »

- La justice. Elle est qualifiée d'expéditive : « Au japon, 99,4 % des personnes envoyées devant le tribunal sont jugées coupables. »
Et surtout, la peine de mort est toujours effective au Japon. On parle souvent des délais à rallonges des prisonniers américains dans le couloir de la mort, il en est de même au Japon. L'autrice cite le cas d'un « condamné à mort en 1968, peine confirmée en 1980, jamais exécuté, libéré en 2014 pour être rejugé. »
L'autrice cite le cas d'un « condamné à mort en 1968, peine confirmée en 1980, jamais exécuté, libéré en 2014 pour être rejugé. »

C'est aussi, et c'est passionnant, une propre remise en cause de son métier de journaliste. Prendre le temps de l'information, le temps de l'analyse…
« Quel est le temps de l'information ? C'est ça, la question qu'il faut se poser aujourd'hui, je crois, à l'heure de l'accélération, de l'urgence, de la communication à outrance, de la défiance envers ceux qui la font, la sélectionnent et la diffusent. »

Un challenge particulièrement réussi sur les deux éléments de ce roman : la fiction (histoire et personnalité de Midori) et le documentaire.

Lu dans le cadre du prix Orange 2024.
Je remercie la Fondation Orange et les Editions Picquier pour cette belle découverte.

instagram : commelaplume

Lien : https://commelaplume.blogspo..
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