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Critique de kielosa


Jan Nolf, né en 1951 à Torhout dans les Flandres, est un ancien avocat et magistrat (juge de paix), qui est réputé pour ses prises de positions originales et courageuses sur la justice. À 67 ans, de nombreux journaux et hebdomadaires sollicitent ses commentaires sur des dossiers controversés ou tout simplement délicats.
Personnellement, je dois constater que ses vues m'aident dans l'interprétation de questions que l'évolution récente du système judiciaire soulève.

De là, la lecture de la carrière atypique, les expériences personnelles et conceptions souvent singulières d'un esprit lucide, comme Jan Nolf les à notés dans son ouvrage autobiographique "La force de la justice".
Je suis content que ce "Plaidoyer pour une justice plus juste" (le sous-titre) soit traduit et publié en Français, fin 2017, quoique mon billet est basé sur la version originale dans notre langue maternelle commune, le Néerlandais d'octobre 2016.

L'auteur a été influencé dans ses options par ce qu'il qualifie de la "Sermon sur la montagne du Christ" pour la justice de l'entretemps devenue historique harangue de l'ex-substitut du procureur de Marseille, Oswald Baudot de 1974 à ses pairs. Ce texte de cet incomparable juriste, décédé en 1994, dont j'ai envoyé hier une citation à Babelio, constitue à tout point de vue un document bouleversant.
Cet avis est aussi l'avis de l'éminente chroniqueuse judiciaire, Pascale Robert-Diard, dans le Monde du 2 août 2016. Cette dame est l'auteure de l'impressionnant recueil : "Le Monde, Les grands procès : 1944-2012".

En fait, Baudot et Nolf, même combat : un appel à la compréhension et la miséricorde. Loin d'un étalage d'érudition, d'autisme savant ou "d'hypocrisie hautaine" (page 49) de la part des juges du haut de leur trône. Il va de soi qu'une telle attitude n'est pas de nature à plaire à tout le monde, tels par exemple les juges de la vieille école préférant, ne fut-ce que par confort, une interprétation ultraorthodoxe et étroite du texte de la loi, même si cette loi est carrément dépassée par la réalité économique, sociale ou purement humaine.

Comme Baudot, Jan Nolf suggère également aux juges d'être partiaux : "Pour maintenir la balance entre le fort et le faible, le riche et le pauvre, qui ne pèsent pas d'un même poids, il faut que vous la fassiez un peu pencher d'un côté." (page 271). Non sans humour, l'auteur rappelle l'anecdote d'une controverse avec l'avocat d'un riche entrepreneur, accusé d'avoir conduit en état d'ivresse, à qui, lorsque l'argument de l'honneur et des risques pour l'emploi fut avancé, il répondit qu'une interdiction de conduite adéquate résultera justement en un accroissement d'emploi : le recrutement d'un chauffeur pour conduire la limousine de l'entrepreneur.

L'avocate Toni Messina de New York a fait, en août 2016, une plaidoirie qui pourrait constituer une variante de la harangue d'Oswald Baudot. C'était lors d'un procès où le juge voulait rendre un jugement très sévère à l'encontre d'un jeune Afro-américain qui avait volé un Playstation chez son propre oncle, qui était prêt d'ailleurs à lui pardonner. Toni Messina avant de devenir avocate dans le Bronx, a été journaliste pour la chaîne CBS à Rome et a donné des cours de jurisprudence à Paris.

Éviter des résultats socialement indésirables d'une lecture trop littérale de la loi, ne doit, bien entendu, pas non plus conduire à l'arbitraire. le juge moderne doit appliquer évidemment la loi, mais en tenant compte du contexte réel du forfait et des conséquences probables de son verdict.

L'auteur se penche sur un bon nombre d'aspects qui contribuent à augmenter la distance entre le juge et le simple citoyen : les palais de justice non adaptés et le juge siégeant sur son trône ; le port des toges ; l'emploi d'une langue archaïque et fréquemment hermétique ; une hiérarchie écrasante et un "top-downmanagement" de l'appareil judiciaire, etc.

En ce qui concerne le Conseil supérieur de la justice (CSJ), créé en 1999, après l'affreuse affaire Dutroux, et visant justement le rapprochement de la Justice du citoyen, Jan Nolf note les dérives politiques, telle la nomination de l'épouse de l'ancien ministre Philippe Busquin, la magistrate Michèle Loquifer, en 2012, à la tête du CSJ. Une fonction qu'elle n'aura pas assumée pendant un an, tout en étant payé pendant 3 ans.

L'auteur estime qu'au sein de ce Conseil la fameuse loi de Parkinson s'est installée. En 1955, Cyril Northcote Parkinson (1909-1993), historien et essayiste, publia un article dans "The Economist" dans lequel il constata que plus le territoire de l'Empire britannique se rétrécissait, plus le nombre des fonctionnaires de ce département augmentait. Plus tard il a développé sa constatation initiale dans son livre "Les lois de Parkinson" dont la version française de 1983 est préfacée par l'illustre Alfred Sauvy. Les responsables sont ceux qui au sommet du CSJ inventent du boulot et nomment pour le faire des nouveaux collaborateurs.

Dans son dernier grand chapitre concernant la force de la justice, Jan Nolf fait l'éloge du Petit Prince d'Antoine de Saint-Exupéry, d'Émile Zola, qui outre son historique "J'accuse" dans l'Affaire Dreyfus, a aussi écrit dès 1896 : "On finit par créer un danger, en criant chaque matin qu'il existe".

Un peu ce que la droite populiste fait à propos des réfugiés politiques maintenant. Ainsi, il attaque un Bart de Wever, qui comme président de la Nouvelle Alliance flamande, voulait introduire, en 2016, une espèce de "Patriotic Act" en Belgique, qui allait même plus loin dans la violation des droits de l'homme que le modèle de fiston Bush après l'attentat du 11 septembre 2001 ! Heureusement, que les partis traditionnels ont bloqué cet essai de diabolisation.

Au fond, Jan Nolf applique ĺa devise du grand Voltaire : "J'écris pour agir".
Et c'est des esprits comme eux que nos sociétés ont besoin pour contrecarrer les faux prophètes du populisme primaire et de l'extrême droite.
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