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Critique de berni_29


On pourrait se demander à quoi ressemblent les lucioles en temps de guerre et vers quelles lumières ou quelles ténèbres elles peuvent nous entraîner...
La Tombe des lucioles est un petit livre, écrit par Akiyuki Nosaka, qui rassemble deux très courts textes, dont le premier au titre éponyme.
Le second récit s'appelle Les algues d'Amérique.
J'ai découvert Akiyuki Nosaka au travers de ces deux récits, auteur japonais de renom, dont l'adolescence surgit des décombres de la seconde guerre mondiale et de celles du Japon à reconstruire sur ces cendres. Son oeuvre semble marquée par ce destin douloureux, en témoignent les deux nouvelles découvertes ici et qui, si j'ai bien compris, sont autobiographiques...
Ce sont deux textes qui se font écho, se parlent, nous parlent, avec leurs différences comme s'ils se situaient sur deux versants opposés. Je me suis demandé comment ces deux textes pouvaient figurer dans le même ouvrage. Ce sont comme deux voix différentes, comme si ce n'était pas la même voix qui les clamait, l'une de ces voix est tragique, l'autre cynique...
Les deux textes se cherchent, cherchent à se joindre, l'un prenant le pas après l'autre, comme voulant le prolonger, avec une autre voix, on les croirait dissemblables, dissonants, c'est le malheur de la guerre qui les couture l'un à l'autre...
L'un est tragique, l'autre cynique, au fond ils disent la même chose, l'absurdité, la brutalité de la guerre qui broie les petits enfants, l'innocence, la vie tout simplement...
Nous sommes à Kôbe, au Japon, dont la population, prise dans la nasse de cette guerre qui se répand comme une déflagration sur le monde entier, paiera un lourd tribut. On le sait, Hiroshima, Nagasaki... Mais ici nous sommes à Kôbe, un peu avant pour l'une des nouvelles, un peu après pour l'autre...
Elle nous semble loin cette guerre là-bas, sur le sol japonais... Mais brusquement deux enfants qui fuient les bombes des B 29 de l'aviation américaine, cherchent à fuir, cherchent leur mère peut-être encore enfouie dans un de ses abris souterrains que compte la ville, fuient dans les rues dévastées, la petite soeur sur les épaules du grand frère, oui ce sont des images lointaines et en même temps si proches...
La guerre n'a jamais été si proche de nous, la guerre a tué tant d'enfants depuis la fin de la seconde guerre mondiale, depuis que le monde devrait être en paix...
La première histoire nous entraîne avec empathie vers les pas de Seita et de sa petite soeur Setsuko qu'il porte sur ses épaules parce qu'elle est devenue trop fragile pour affronter la guerre.
Nous vivons leur errance dans le dédale d'une ville détruite, comme si nous étions avec eux, dans leurs petits pas franchissant les ruines, nous trébuchons avec eux...
Mais l'enfance est une magie, un enchantement, un voile posé sur la tragédie du monde, une manière parfois de ne pas voir l'horreur de la guerre, un grand frère qui cache à sa petite soeur ce qu'il sait déjà, il a juste une petite longueur d'avance sur ce qui fait mal et qui vient... C'est sans doute ce qui rajoute à la douleur du texte.
Il m'est impossible désormais d'oublier Seita, protégeant sa petite soeur autant des bombes incendiaires qui scintillent dans le ciel, de la faim qui vient, que du malheur qui viendra plus tard...
J'ai vu ici un Japon de fin de monde, un récit apocalyptique...
Les lucioles peut-être sont les derniers vestiges de cet enchantement. Elles éclairent les pas de ces enfants qui trébuchent dans les rues démolies... On pourrait presque confondre leur lumière avec la trajectoire lumineuse des bombes traçantes.
J'ai aimé l'image citée dans le premier récit, d'un homme politique chinois du IVème siècle, Che Yin, qui étudiait la nuit à la lueur de ces lucioles, sous sa moustiquaire.
Le second récit nous entraîne après la guerre, sur un ton différent, plus ironique. Les américains et leurs alliés ont gagné la guerre et jettent dans le ciel d'étranges objets nouveaux qui retombent sur le sol encore abîmé par la guerre : des chewing-gums, du coton que les femmes japonaises s'emparent pour leurs règles, et puis aussi une chose étrange que les autochtones prennent pour de l'algue et qui est en fait du thé noir américain...
Sans doute le ton plus léger et décalé du second récit déroute un peu. Il n'en cache pas moins la douleur du premier récit. Et puis un soupçon d'érotisme permet de poser une passerelle pour célébrer la réconciliation entre le peuple américain et celui du Japon...
L'ensemble forme étrangement une harmonie au final. Et dans les deux textes, j'ai vu surgir, entre les décombres des pages, un enfant qui ressemblait à Akiyuki Nosaka et qui tendait la main vers la lumière du jour.
Ah! Comme j'aimerais vous écrire, éclairé seulement par la lumière des lucioles...
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