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Critique de Enderlion


J'ai carrément adoré !
Non, mais quel livre !
C'est le genre de bouquin qui vous réconcilie avec la lecture après quelques déconvenues ayant mis à mal votre plaisir de lire.

Une fois de plus, c'est la couverture qui m'a fait acheter ce formidable livre, dans cette édition que j'affectionne beaucoup : le Livre de Poche. L'artiste Manchu illustre avec un talent monstrueux le génial univers de l'écrivain.
Je dois tout de même avouer que le titre et sa graphie ont aussi attisé le feu de ma curiosité. Avec Ora:cle, j'ai rarement été aussi fier de l'acquisition d'un livre d'occasion, tout comme jamais je ne me suis autant approprié un livre. Je l'ai fait mien immédiatement, l'alchimie a eu lieu aussitôt la lecture entamée.
Dès les premières pages, je n'ai eu de cesse de faire des allers-retours entre les lignes qui filaient sous mon regard et la fameuse couverture de Manchu, m'amusant des corrélations ou des dissonances entre les descriptifs de l'appartement dans lequel se déroule la totalité de l'histoire et sa représentation par l'illustrateur donc sur cette superbe couverture.
J'ai vite compris que j'avais entre mes mains un livre qui allait faire date dans l'histoire de ma PÀL - légendaire ! - qui n'en finit plus de croître.

Ora:cle de Kevin O'Donnell, un écrivain americain totalement méconnu auquel il faut rendre hommage parce que parti trop tôt rejoindre le panthéon des maîtres d'un autre âge d'or de la SF, celui des années 80 ; Ora:cle donc est un thriller cyberpunk à huis clos terriblement prémonitoire, jamais étouffant, l'auteur parvenant à nous faire voyager grâce à une intrigue à tiroirs mouvementée qui ne laisse que peu de répit aux lecteurs. Il y a même un côté vaudeville, presque théâtrale, avec plusieurs entrées en scène de personnages débarquant dans le récit tels des chiens dans un jeu de quilles ; ce qui vient ajouter quelques quiproquos aux répercussions par moment assez drôles. de fait, le roman est dépourvu de toute noirceur et s'attache à décrire un monde certes fermé mais de la manière la plus lumineuse qui soit.

Alors Ora:cle, ça raconte quoi ?
Suite à l'épuisement des ressources de la Terre, l'humanité a été contrainte de s'enfermer dans des immeubles hyper informatisés, hyper connectés, réduisant tout contact humain à peau de chagrin. Mais si les appartements sont de véritables cocons automatisés à l'extrême, depuis que les Dacs ont envahi la Terre, sortir sur son balcon fait courir le risque d'une mort violente, les créatures volantes que sont les Dacs affectionnant particulièrement la chasse à l'homme.
Parmi les résidents d'une de ces nombreuses tours domotisées, Aël Elcatrevain, consultant chez Ora:cle, un réseau informatique tentaculaire couvrant la planète entière, et sa femme Emdée Aussincante vont voir leur quotidien basculer après une succession d'événements mettant en péril leur vie. Tentative de meurtre, piratage de leur appartement, razzia sur leur compte, mais qui peut bien leur en vouloir à ce point et pour quelle raison ?
Pris dans la tourmente d'un mystérieux complot, ils vont devoir affronter des forces obscures, un groupe ultra organisé ayant des yeux partout et des assassins pouvant surgir à n'importe quel moment de la journée au sein même de leur petit nid douillet qui n'en a plus que le nom. Par un heureux concours de circonstances, le jeune couple trouvera un allié en la personne de Wef Déneufin, un réfugié qu'il devront accueillir et entre les mains duquel ils confieront ni plus ni moins que leur avenir.
Mais cette lutte contre le système n'est pas sans conséquence, et les deux tourtereaux que rien ne pouvait séparer verront leur amour mis à rude épreuve. Une question se posera alors : si l'union fait la force, un couple peut-il venir à bout d'ennemis invisibles extérieurs ?

Le postulat d'Ora:cle constitue déjà à lui seul la richesse de ce roman édifiant, visionnaire. Rendez-vous compte, il a été publié en 1984, année magique dans la SF. Si le livre ne renie aucunement son aîné auquel la seule date de parution fait référence, il propose cependant un futur très éloigné de l'oppressant et terrifiant futur imaginé par Orwell. Toutefois, si les visions diffèrent, derrière la façade sophistiquée des thèmes abordés, des concepts élaborés, du contexte, de l'époque et du lieu - ici, un appartement high tech -, l'histoire d'Ora:cle s'articule autour d'une obsession identique, qui n'a jamais quitté les pensées des hommes : le contrôle total et absolu de l'individu, prouvant s'il en était encore besoin que c'est en séduisant les masses (ici : offrir la sécurité à la cité) qu'on contrôle l'individu (ici : faire du télétravail le quotidien du citoyen sans qu'il ne rechigne).

Nous sommes en 1984 et l'auteur nous parle déjà de confinement ! de quoi glacer le sang du citoyen du 21ème siècle rompu désormais à ce terrifiant exercice.
Dans le fond comme dans la forme, Kevin O'Donnell se montre innovant, notamment à travers le descriptif du quotidien de ces hommes et femmes, prisonniers de leur propre condition et réduits plus que jamais à l'état de simples rouages dans la machine étatique bien huilée, réduits à l'état d'esclave en fin de compte, n'ayons pas peur des mots.
Chacun joue un rôle bien précis et dans le cas où un individu ne répondrait pas aux attentes de ce système très ordonné, hiérarchisé, sans tâches, le contrevenant se voit immédiatement écarté de l'échiquier social pour terminer dans les rues désertes des cités, terrains de chasse de ces oiseaux de malheurs, les Dacs.
Une description qui correspond étrangement à la définition que les gouvernements d'aujourd'hui se font de l'individu : un outil. On notera au passage la curieuse graphie des noms des protagonistes, habiles retranscriptions phonétiques d'identifiants alphanumériques : Aël Elcatrevain pour AL-L80, Emdée Aussincante pour MD-O50 et Wef Déneufin pour WF-D91. Et cela vaut pour tous les personnages. Avouez que dans le genre déshumanisation, on ne peut pas faire mieux.

Les mots ont un pouvoir, les médias sont une force, et l'écrivain n'a de cesse de nous le rappeler en fin de chaque chapitre par le truchement de breaking news alimentant les rumeurs, les fakes news et autres joyeusetés issues de l'information moderne.
Là encore, on nous montre les moyens monstrueux mis à disposition d'un état pour contrôler les masses et les orienter dans le sens de ses actions. La manipulation est au coeur de ce roman, et toutes les ramifications qu'elle génère à travers le monde telle une araignée maléfique tissant une toile démoniaque, eh ouais.
Tout le livre fait écho au quotidien que nous vivons aujourd'hui même, nous autres, petits vertébrés simiesques que nous sommes, perdus dans un océan d'informations mensongères.
C'est un écho troublant dans la mesure où il vient du passé. Et ce triste reflet issu de l'imaginaire d'un auteur de SF qui ne nous est pas contemporain interpelle. Sans nul doute, les troubles qui perturbent ce début de millénaire étaient latents, en sommeil et ne demandaient qu'à sortir de leur coquille. L'enfer que nous vivons aujourd'hui était programmé depuis des décennies. Et on ne peut réduire ce triste constat à une vulgaire assertion ou une quelconque théorie complotiste, mais bel et bien à une réalité tangible. L'état de dégénérescence de la société actuelle, devenue complètement folle, confirme hélas le diagnostic.
Le monde est malade et n'attend qu'un remède que nous seuls sommes en mesure de lui apporter. Et aussi évidente soit la révélation, la solution, elle, est loin d'être à portée de nos mains, ni même de nos coeurs. Voilà ce que nous dit ce roman génial.

Après le fond, la forme...
Non, le style n'est pas juste "tout à fait correct". le style est remarquable ; il est frais, intuitif, plein d'une spontanéité rare, et d'une limpidité qui ne s'encombre jamais de descriptifs superflus ou de dialogues ampoulés. L'auteur frappe juste, sans prendre les lecteurs pour des idiots ; bien au contraire, il mise sur leur intelligence et ose. Il ose emmêler les conversations sans que le lecteur ne se perde dans les échanges de premier plan. Il ose interrompre un dialogue important ou un rebondissement en l'entrecoupant de détails a priori anodins mais qui pourtant finissent par révéler leur nécessité, soit vis à vis de la structure du monde dépeint, soit pour une question de rythme du récit ou tout simplement pour apporter une information. J'en veux pour preuve les fameuses manchettes quotidiennes, sortes de news électroniques, qui viennent ponctuer les chapitres.
Concernant l'intrigue et les personnages, je me contenterai d'une très laconique appréciation : ils sont en béton armé. Et je me permettrai un gros clin d'oeil au trio de protagonistes que j'ai trouvé hyper attachants. Quant au rythme, le livre nous tient en haleine jusqu'au bout.
En guise de bonus, je réserverai une salve d'applaudissements pour l'inventivité de l'auteur qui, en plus de concevoir Internet en 100 fois mieux - pour rappel, nous sommes en 1984 -, imagine le transmateur, une sorte de téléporteur au service d'un Amazon 10.0 permettant la livraison instantanée de nimporte quel produit à domicile. Bravo !

Et plus je creuse pour cette critique et plus je réalise combien ce livre m'est cher. Aussi, je n'ai qu'un regret : qu'il n'est pas eu le succès mérité. Que s'est-il passé dans la tête des lecteurs americains à l'époque ? Ont-ils été à ce point demeurés pour ne pas reconnaître un monument du cyberpunk quand il en passe un sous leur nez retroussé ?

Ora:cle de Kevin O'Donnell est un livre brillant et surtout très accessible, contrairement à d'autres titres dont la renommée n'est plus à faire. C'est un roman fascinant qui accapare l'esprit longtemps après sa fermeture. S'il avait été jugé à sa juste valeur, il aurait très certainement imposé son auteur comme un des piliers du mouvement cyberpunk. Et si le destin n'avait pas joué un tour odieux à l'écrivain, nul doute que son oeuvre entière aurait emprunté un tout autre chemin, pourquoi pas jalonné de titres tout aussi novateur que le présent ouvrage. Et qui sait, peut-être aurions-nous eu droit à une adaptation cinématographique de qualité...
Et si, et si... Quel gâchis.

Parce que ce fabuleux roman, que les lecteurs auraient dû élever au rang de grand classique de la littérature SF, est un petit miracle, je place Ora:cle au sommet, aux côtés des romans fondateurs de la SF.
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