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Critique de indimoon


Un roman peu engageant de part son thème, d'abord. le deuil de l'être cher, celui qui partage votre vie, fait de vous un être aimé, visible, à ses yeux, tout du moins, mais cela vous suffit pour vous sentir exister. Sans lui/elle place à la solitude, la douleur, la confusion totale, la perte de repère, la vulnérabilité extrême. Comme Joyce Carol Oates met tout cela en narration d'une terrible façon. Terrible, c'est le mot, j'ai pour une grande part du livre remplacé la terme "plaisir de lecture" plutôt par "envie de lecture" ou de poursuivre tout court.
Car si le thème est cauchemardesque, l'histoire de Michaela et Gérard est encore plus cruelle dans le sens où la maladie les frappe à un moment où le couple est totalement esseulé, après un déménagement au Nouveau-Mexique, des terres arides au vent sec et poussiéreux, où ils ne connaissent encore strictement personne, à plusieurs heures de vol de leur Massachussetts d'origine. Michaela perd d'autant plus pied. La narration de l'autrice est un outil de cette perte totale de contrôle. Et pour en revenir à ce qui est peu engageant dans ce livre, il y le fait de se retrouver piégé dans un esprit ravagé de douleur et de confusion.
Il y a tout de même deux parties distinctes dans ce livre: les vingt jours d'hôpital avant le décès, et l'après. Comme Michaela, impossible par moment de se repérer dans le temps et l'espace, dans la première partie, nous passons du vingtième jour d'hospitalisation au premier, au dixième, on revient au vingtième, au dixième, au premier...Comme s'il n'y avait ni début ni fin. L'écriture radote, idées fixes, mêle des paroles de Gérard, des moments rêvés, imaginés, des cauchemars, la réalité. La culpabilité de cette femme, sa souffrance, sa colère envers le corps médical, les médicaments qui ne sont qu'un choix entre "douleur insoutenable et hébétude", c'est souvent répété, comme une nouvelle pensée alors que nous l'avons lu deux pages avant.
Difficile pour le lecteur lui-même de trouver des repères et pourtant...A mesure que les pages lues s'amoncellent, que nous prenons de la distance sur cette écriture fragmentée mais unie par une tonalité très juste, on ne peut se trouver qu'impressionné par une oeuvre capable de se fondre de façon aussi immersive dans un esprit tourmenté.
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Une oeuvre sans aucun doute en partie autobiographique, comme le souligne de façon pudique l'emploi de la deuxième personne du singulier "tu supplies l'homme qui lutte, respire!". Avec ce "tu" nous glissons dans le désespoir profond de la veuve. L'autrice emploie aussi le "elle" de Michaela, qui illustre, tout du moins c'est ainsi que je l'ai ressenti, la dualité. Car il y a le "tu" de la veuve éplorée et le "elle" qui se débat à la surface du courant qui l'entraine vers le fond. Michaela continue, même durant la période d'hospitalisation de son mari, de donner des cours à la fac, un atelier de trois heures par semaine, un lieu tenu à l'écart de sa souffrance, où personne ne sait le cauchemar dans lequel elle est plongée. Où elle quitte ses pyjamas informes pour un tailleur de lin blanc et un foulard de soie. Cette dualité est présente jusqu'à la fin du récit, une unité de ton saisissante jusque dans sa conclusion.
J'ai aussi noté dans ce récit des moments de violence qui explose, d'une narration qui s'accélère de façon saisissante, je pense notamment à ce passage où un inconnu, un de plus en qui elle a cru reconnaître Gérard, l'entraîne dans les quartiers populaires de Santa Tierra. Ou également ce moment où elle brise la statuette du dieu moqueur qui la hante sur un crâne, immédiatement réfutée par un scénario "bis", nous laissant dans le doute, des sortes de mondes parallèles qui s'ouvrent et se referment au gré de la fugacité d'une pensée, mais présentés sans plus de validité ou invalidité que le monde "réel". Pour sûr, la plume de cette autrice bien que peut-être amoindrie ici par la douleur peut se révéler puissante et redoutable.
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Je suis conquise par l'acuité de l'esprit de cette autrice qui perce ici malgré sa confusion cauchemardesque. Un livre qui s'éprouve plus qu'il ne s'explique. Un exutoire aussi, un cri, très prenant.



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