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Critique de thedoc


Le fait divers est un élément d'inspiration chez Joyce Carol Oates. le fait divers et les révélations souvent nauséabondes qui en découlent : sur les hommes, sur la société, sur la vie en général. Dans "Sacrifice", l'auteure démarre au plus près de la réalité : en octobre 1987, dans le New jersey, une jeune adolescente noire disparaît durant trois jours. Elle est finalement retrouvée dans la cave d'une usine désaffectée ligotée, couverte d'excréments et portant des injures racistes sur le torse . Elle dit avoir été enlevée, séquestrée, battue et violée par quatre policiers blancs. Dans une ville où les conflits raciaux entre les Blancs et les Noirs sont à vif, c'est l'allumette qui va mettre le feu aux poudres.

A partir de ce fait divers , Joyce Carol Oates offre un récit dérangeant, à la lecture souvent pénible et inconfortable.
Les lieux tout d'abord, la ville fictive de Pascayne et surtout le quartier de Red Rock, sorte d'îlot dans la ville, laissé à l'abandon depuis les émeutes raciales de 1967, nous engluent dans leur grisaille étouffante et miséreuse : maisons incendiées, chaussées défoncées, bâtiments abandonnés, rivière polluée, usines désaffectées... Tout pue, tout est glauque, tout respire la crasse. Et c'est là où vivent Sybilla Frye, la fameuse adolescente du roman, et sa mère Ednetta Frye.

Mère et fille ne sont guère touchantes, on ressent peu d'empathie vis à vis de cette jeune fille sournoise qui a pourtant subit l'horreur. Mais dit-elle la vérité ? Car dès le début la question est posée au lecteur, comme elle l'a été posée dans la vraie vie. Agression (présumée), viol (présumé)... Que cache cette jeune fille qui refuse les prélèvements médicaux et les entretiens avec la police ? Sa mère n'est guère plus coopérative, au contraire. Autour de ces deux femmes énigmatiques gravitent d'autres personnages, d'autres voix qui se font entendre alternativement au cours du roman : l'enquêtrice hispanique, le beau-père, le jeune policier blanc, le révérend et son frère l'avocat, le gourou... Roman polyphonique, le récit alterne ainsi les points de vue de chaque protagoniste, parfois de façon assez déroutante. On le sait, Joyce Carol Oates aime sonder les âmes de ses personnages qui révèlent les noirceurs les plus profondes de leur être. Une chose est certaine : les innocents seront sacrifiés.

"Sacrifice" est avant tout l'histoire d'une manipulation sournoise où le racisme est instrumentalisé pour des raisons pas toujours nobles. La vérité ne compte plus car une croisade est lancée : c'est l'heure pour les Noirs de faire payer leurs crimes aux Blancs. Peu importe les moyens, peu importe les victimes, seuls comptent le pouvoir et l'argent. Mais qui en profitera ?
Entre fiction et réalité, dans un style froid et sans prendre partie, Joyce Carol Oates donne une nouvelle fois à voir les failles et les blessures d'une Amérique où la question raciale reste d'une complexité absolue. Elle nous interroge surtout sur notre relation à la vérité où médias et justice, prophètes et avocats, Blancs et Noirs, brouillent les lignes. Aveuglés par leur haine respective, ils sacrifient les innocents et les idéalistes.

Un roman brillant comme toujours chez Oates, un style âpre, mais dont la polyphonie entrave parfois notre propre vision des choses et dont l'ambiance désespérée vous laisse abattu à la fin de l'histoire.

Reste une question, certes anecdotique même si on pressent la réponse : quelle était la vérité ?
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