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Critique de Malaura


Comment, quand on a 17 ans, en arrive-t-on à adhérer à l'Action Impériale, le parti ultranationaliste japonais?
« Seventeen » relate l'embrigadement d'un jeune garçon dans un parti d'extrême-droite.
Dans le Japon des années 1960, le narrateur vient d'avoir 17 ans ; il a fêté son anniversaire dans l'indifférence générale. Mal dans sa peau, complexé, inhibé, il se déteste autant qu'il déteste le monde, « je suis un seventeen pitoyable et laid ». le coeur empli de colère, de dégoût, de mépris, il se sent incompris et rejette aussi bien sa famille que ses camarades de classe, « j'ai envie de les tuer tous à la mitraillette, j'ai envie de les massacrer tous ! »…
De plus, dominé par des pulsions sexuelles qu'il ne maîtrise pas, il s'adonne à l'onanisme avec une frénésie morbide et un sentiment croissant de honte et de dégoût.
L'adolescent, replié sur lui-même, en proie à un terrible sentiment d'infériorité, alterne crises de larmes et crises de violence, écoeuré par un monde qu'il ne comprend pas, « tout dans ce monde me paraît incertain, difficilement compréhensible et insaisissable. J'ai le sentiment que le monde appartient à autrui et que je ne dispose de rien. »
Jusqu'au jour où un camarade l'emmène écouter le discours du leader de l'Action Impériale, un parti d'extrême-droite.
Les mots de l'orateur, agressifs, chargés de fiel et de hargne résonnent dans l'esprit du jeune homme comme s'ils appartenaient à sa propre voix intérieure. Cette musique haineuse et vociférante est la sienne, il a enfin trouvé Sa Vérité !
Flatté par le leader, embrigadé, l'adolescent devient un membre actif de ce parti ultra violent aux méthodes radicales.
Ce faisant, il prend conscience de sa nouvelle nature, il n'a plus peur de rien désormais, le port de l'uniforme lui donne un sentiment de puissance et de supériorité qui l'exalte. Il n'est plus le misérable ado se masturbant pour calmer ses angoisses mais bel et bien un homme nouveau ayant abandonné tout individualisme au profit d'un patriotisme primaire et absolu.

C'est dans les années 1960, alors que le Japon est en proie à une montée alarmante des mouvements nationalistes, que paraît cette histoire sombre et violente inspirée par l'assassinat d'un chef de parti socialiste par un membre de l'extrême-droite.
Son auteur, l'écrivain japonais Kenzaburô Ôé y relate par le menu l'effrayant processus qui conduit un adolescent mal dans sa peau à adhérer à un groupe de nationalistes radicaux.
En construisant son histoire à la première personne du singulier, l'auteur nous fait entrer de plain-pied dans la conscience tourmentée de son personnage et c'est avec un sentiment croissant de malaise que l'on assiste à ce déferlement de violence intérieure, de frustrations, de complexes, d'obsessions spirituelles et sexuelles dont l'apaisement ne viendra que par la soumission à une entité dominante, ici l'Action Impériale et la loyauté offerte à l'empereur du Japon.
Une écriture au plus près du réel qui dissèque et analyse remarquablement les tourments du narrateur, nous offrant ainsi une radioscopie impitoyable de toute une génération, celle des japonais des années 1960, tiraillée entre tradition et modernité, en proie aux inquiétudes, aux questionnements et aux indécisions face à un monde qui change et se modernise.
Mais si le message antimilitariste et anti-ultranationaliste de Kenzaburô Ôé était très audacieux et d'une insolente modernité pour l'époque, il demeure d'une redoutable efficacité. La montée des extrémismes, la recrudescence d'adolescents en mal d'identité et de reconnaissance choisissant la voie du radicalisme, qu'il soit politique ou religieux, prouvent s'il est besoin, que le texte de l'auteur reste aujourd'hui encore bien trop d'actualité.
Prix Nobel de Littérature en 1994, l'auteur japonais offre avec cette nouvelle extraite du recueil « le faste des morts », un texte fort d'où sourd une violence désespérée que le manque de communication, l'incompréhension et l'indifférence ont rendue totalement irrépressible.

« Ah, si ce monde me tendait seulement une main, que je puisse saisir avec simplicité, certitude et passion ! »
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