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Critique de Henri-l-oiseleur


Maurice Olender, dans "Les langues du paradis", fait oeuvre d'historien des sciences, en particulier de la philologie. Il retrace les recherches et découvertes qui occupèrent le monde savant depuis le XVIII°s, en quête de la langue primordiale, des premières civilisations, des origines de la culture humaine. A côté de l'hébreu, langue de la Bible, étudiée de manière ininterrompue depuis l'Antiquité, les savants forgent le concept d'Indo-Européen, se fondant sur les parentés découvertes entre le sanscrit, (communiqué à l'Europe à la faveur de la colonisation anglaise de l'Inde), le persan, les langues slaves, germaniques, latines et celtiques. On a alors posé, à la fin du XVIII°s, un peuple indo-européen primordial, d'où émaneraient nos cultures. Et de là, de nombreuses spéculations ont décrit un "homme sémite" essentiel, pour l'opposer à un "homme indo-européen" essentiel, à travers des oeuvres abondantes et documentées tout au long du XIX°s : lire Olender, c'est s'initier aux biblistes des temps modernes, à la pensée de Herder au début du romantisme allemand, à Ernest Renan et à d'autres grands savants du XIX° et du début du XX°s, jusqu'à Ignaz Goldziher. La valeur encyclopédique de l'ouvrage n'est pas à démontrer.

Si sa lecture comblera notre curiosité pour des discours scientifiques périmés, mais beaux et inspirés, on évitera toutefois de regarder de haut ces esprits brillants et créatifs du passé, en nous croyant supérieurs à eux, puisque nous sommes plus avancés dans l'échelle du temps. L'illusion progressiste est un des inconvénients de ce livre, produit par un auteur de l'Ecole des Hautes études en sciences sociales, pépinière de progressistes, et couvert d'éloges par une pléiade d'intellectuels médiatiques. L'autre inconvénient, que je trouve plus grave, réside dans les lacunes de la documentation : Olender retrace avec talent les imaginations para-scientifiques de Renan et de ses disciples sur "le Sémite" : ils enseignent qu'il est incapable de mythologie et de pensée abstraite, prisonnier de son intuition monothéiste qui le place hors de l'histoire et du temps. Mais entre 1857 et 1872, la riche littérature mythologique mésopotamienne (donc sémite) est découverte et progressivement déchiffrée (par exemple, le récit akkadien du Déluge eut un effet similaire dans l'opinion à la publication des thèses de Darwin) ; la bibliothèque du roi assyrien Assurbanipal commence d'être traduite et publiée à partir de 1857. On y trouve des textes astronomiques, médicaux, philologiques, bref un corpus scientifique "sémite" que nous n'avons pas fini d'étudier en 2023. Que Renan, les professeurs d'hébreu, et autres sémitisants, aient manqué de curiosité pour ce qui se découvrait sous leur nez, admettons. Mais que Maurice Olender n'y consacre pas une ligne dans son ouvrage sur la quête de la langue primordiale et de la pensée antique au XIX°s, c'est fort dommage.

Comme souvent, il faudra se mefier des louanges intello-médiatiques.
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