AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de Cigale17


Un livre troublant, comme l'annonce son titre qui semble référer au contenu du roman et aussi à l'effet produit sur le lecteur ! Dérangeant dès la première page… J'ai mis du temps à le lire, et j'ai laissé passer quelques jours avant d'écrire cette chronique. Dans trois parties de longueurs inégales, un vieil homme parle à la première personne à un interlocuteur absent qu'il interpelle fréquemment tout au long de son récit : « C'est alors, mon garçon, qu'un type comme moi doit sortir, vieux ou pas. » Il nous dira plus tard qu'il écrit ses souvenirs pour son arrière-petit-fils. Il se présente sans fard au début, et on comprend dès la première page qu'il est raciste.

Le récit de ce policier à la retraite navigue entre le présent et le passé, souvenirs d'enfance et d'adolescence parfois, mais surtout souvenirs de l'Occupation d'Anvers pendant la Deuxième Guerre mondiale. Je me suis habituée très vite au fait que présent et passé se télescopent parce que la narration est le plus souvent au présent  Le récit n'adopte pas une chronologie linéaire, mais suit le fil de la pensée, saute du coq-à-l'âne, d'une époque à l'autre. Il en va ainsi de la première anecdote racontée ; elle se situe en janvier 1941, sept mois après l'arrivée des Allemands à Anvers, alors que lui-même, Wilfried Wils (« Ce n'est pas vraiment mon nom, mais ça, je te le raconterai plus tard »), et Lode Metdepenningen sont de tout récents auxiliaires de police. Les jeunes collègues sont recrutés par deux Feldgendarmes pour aller rafler une famille juive, les Lizke, dont le père est un personnage épisodique, mais important, du roman. Les deux Allemands se comportent très brutalement et blessent un des cinq enfants. Lode, bouleversé, prend l'enfant blessé dans ses bras. Un « Feldfritz » sort sa matraque pour frapper le jeune homme, mais Wilfried stoppe son poignet, se révélant alors capable de courage dans le feu de l'action.

Mais le lecteur découvre petit à petit la dualité du personnage, dualité qui prend peut-être racine dans l'enfance : atteint par une méningite à cinq ans, Wilfried se réveille après quatre mois de coma, mais ne se souvient plus de rien, ni de ses parents, ni de son prénom. Il pense s'appeler Angelo et doit tout réapprendre (pages 48 à 50). Son indécision, son inertie, sa passivité viennent-elles de cet événement ? Ne sont-elles pas plutôt le reflet de sa lâcheté et de sa volonté de sortir indemne de cette période si trouble, justement ? Angelo est présenté comme le double cynique et violent d'un Wilfried pas si mauvais que ça ; cet ami imaginaire, ou plutôt cette face sombre de lui-même, prend parfois l'avantage et parfois se contente de ricaner en jugeant sévèrement et à l'aune de sa propre morale les actes ou le refus d'agir de Wilfried. Dualité encore ou duplicité ? Lode Metdepenningen, le meilleur ami (?) et beau-frère de Wilfried est du côté de la Résistance. Mais Felix Verschaffel, son « mentor » en français et en littérature, et en bien d'autres choses…, surnommé Barbiche Teigneuse, affiche pour sa part ses sympathies nazies et se réjouit quand il peut apporter son soutien actif à la cause. Et Wilfried ? il suit l'un ou l'autre, selon les circonstances, se contentant pendant longtemps de laisser passer l'orage. On le sait pourtant capable de violence. Dès le début du livre (p. 44 à 46), il va tenter de noyer le chat de sa femme parce que l'animal lui a filé une puce…

J'ai trouvé ce livre prenant, mais particulièrement dérangeant. le personnage principal apparaît ambigu et antipathique, même si on sent çà et là la volonté, non pas d'être aimé, me semble-t-il, mais d'être compris. Est-ce un parfait salaud ? Il tente de s'en sortir au quotidien, et pour ce faire, il adopte un attentisme assurément prudent, jusqu'à ce que… La distance, parfois le détachement avec lequel Wilfried présente ses souvenirs, la plupart du temps comme le ferait un témoin plutôt qu'un acteur, impose au lecteur une grande réserve, je crois. J'ai l'impression que c'est en partie ce point de vue distant qui m'a ramenée sans cesse à la question : « Et là, dans cette situation précise, qu'aurais-je fait à sa place ? » Impossible de répondre… J'ai regretté cependant que la deuxième partie du roman ne soit pas plus resserrée : les mêmes interrogations reviennent et j'ai eu le sentiment qu'on tournait un peu en rond.
Commenter  J’apprécie          220



Ont apprécié cette critique (22)voir plus




{* *}