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Critique de Pecosa


Pecosa
25 septembre 2018
On connaissait le Mexique des réfugiés républicains espagnols à travers les romans de Jordi Soler qui était parvenu à retracer le parcours de son grand-père, un combattant parmi tant d'autres accueilli grâce à la politique du président Lázaro Cárdenas del Río. C'est au tour du romancier Antonio Ortuño de s'attaquer à sa mémoire familiale via le destin mouvementé de descendants de militants exilés. On ne peut qualifier Méjico de roman autobiographique. C'est un grand roman noir duquel, en dépit de la distance instaurée par l'auteur, s'échappent au détour d'une phrase ou d'un chapitre ses souvenirs familiaux, des anecdotes héritées des grands-parents, des paroles de chansons qui ont survécu à la traversée de l'Atlantique comme elle ont pu perdurer de l'autre côté des Pyrénées.
Méjico (avec un J, una Jota, l'explication se trouve malicieusement dissimulée dans le texte) est un récit implacable qui synthétise la relation violente entre l'Espagne et le Mexique à travers les aventures souvent tragiques de combattants anarchistes.

"Le fracas n'attira personne. A Méjico, un coup de feu était une fleur dans un jardin ou la pluie sur le visage, un phénomène qui n'intéressait personne, sauf ceux qui pouvaient en profiter. » La violence exacerbée est le moteur des romans de Antonio Ortuño parce qu'elle est indissociable de l'histoire de son pays, à tel point que son très bon roman La file indienne, sur le massacre de San Fernando est particulièrement éprouvant à lire. Dans Méjico, la violence subie par les militants et grévistes dans l'Espagne des années 20, la violence de la guerre civile espagnole, la violence de l'exil, d'abord dans les camps de concentration français puis dans les pays d'Amérique du sud, est comparable à la violence quotidienne qui broie les vies des citoyens depuis de nombreuses années. L'écriture est comme toujours chez Ortuño remplie de hargne, de cynisme et d'une brutalité prompte à dépeindre une horreur devenue banale.

Heureusement, Méjico est aussi un roman sur les idéaux et l'engagement. La figure quasi messianique de Buenaventura Durruti« (...) en entendant les paroles enflammées de Durruti, ce type aux yeux bridés comme un Chinois et aux principes de bon catéchiste (...) » se détache et se retrouve dans les agissements de certains personnages qui ont la fidélité à leurs convictions chevillée au corps, prêts à tous les sacrifices, quite à devenir les derniers des Mohicans: « Mais la vie n'est pas si salope, mon cher. Tu sais ce que j'ai ici? Tiens, laisse-moi sortir mon portefeuille. Voilà. C'est un magazine, un morceau de magazine, daté du mois d'août 1944. C'est en français, je l'ai trouvé par hasard chez le coiffeur. C'est sorti, il y a moins de deux ans. Tu vois ça? C'est Paris. Les Alliés à Paris, après avoir mis à la porte les putains de nazis. Et ça c'est le drapeau de la République, sur un tank, oui. C'est les nôtres, merde, qui entrent à fond dans Paris. Et celui-là? Putain de la Vierge Marie, si c'est pas León, le fusil à l'épaule! regarde! regarde! Il est debout. »
Les histoires qui bondissent et rebondissent de décennies en décennies permettent au lecteur de recoller les morceaux d'une mémoire fragmentée. C'est un jeu de piste auquel on se livre d'autant plus volontiers que l'odyssée triste et passionnante des exilés s'achève dans un pays d'accueil aussi oppressant que la terre qu'ils ont quittée.
Je remercie les éditions Christian Bourgois pour l'envoi de ce roman reçu dans la cadre de l'opération Masse Critique.
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