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Critique de Leponeynoir


En préambule une petite remarque : au-delà de la surenchère de parallèles que l'on fait çà et là entre 1984 et le monde contemporain, je pense qu'il faut d'abord replacer le livre dans le contexte de l'époque... cela aidera à une meilleure compréhension de l'ouvrage.
Orwell a certes su anticiper le développement de certaines techniques de surveillance, avec dans leur prolongement un infaillible système de traçabilité des individus... et il y a des parallèles entre sa politique-fiction et certains aspects de la société actuelle. Mais nous conservons la liberté de ne pas adhérer à la « propagande » contemporaine et à ses programmes divers et variés... de même nous pouvons encore penser par nous-mêmes sans risquer un lavage de cerveau au « miniamour » (pour parler en Novlangue). Rien de tout cela dans 1984.
On voit, à la lecture de son roman, que l'écrivain a avant tout puisé dans les méthodes des régimes totalitaires de son temps. La dictature de l'Angsoc qu'il dépeint dans 1984 ne s'apparente en fait que très peu aux « techno-démocraties » d'aujourd'hui. C'est bien plutôt une caricature poussée à l'extrême des régimes exercés dans les pays « socialistes », que du reste Orwell abhorrait. le totalitarisme poussé à son paroxysme.
Tous les ingrédients du stalinisme sont là : surveillance permanente, absence totale de liberté, délation, disparitions, incessants procès politiques, maintien délibéré de la population dans une misère extrême, économie planifiée, le tout dans un état de guerre plus ou moins virtuelle avec l'extérieur (la Guerre Froide).
Ce monde-là, divisé en trois puissances, ne ressemble pas au monde contemporain à proprement parler : il est né avec la Seconde Guerre Mondiale, et il s'inscrit dans le prolongement d'un conflit qui, depuis 1939, n'aurait jamais vraiment cessé, l'URSS victorieuse englobant l'Europe, le monde entier emporté dans un cyclone de révolutions et la civilisation pour ainsi dire rayée de la carte. Un monde définitivement mort.
Un monde de cauchemar, bien pire que le nôtre du reste, d'autant plus affreux que totalement vraisemblable. En lisant 1984, on est pour ainsi dire absorbé dans un vide sidéral, véritable trou noir de l'histoire, sans passé ni avenir.
Une lecture dangereuse donc, pour les plus lucides, car « si tu regardes au fond de l'abîme, l'abîme aussi regarde au fond de toi ».
Avec un calme glacé, tel l'oeil au-milieu du cyclone, Orwell imprègne son récit de l'atmosphère de dénuement total de l'Océnia, ce pays aberrant ; il nous fait vivre un état de terreur, nous dépeint un cadre de vie totalement délabré, une laideur omniprésente...
Perdu dans ce monde informe et étréci, sans repère mais quadrillé à l'extrême, où l'anarchie la plus totale côtoie un carcan policier impitoyable, avec une stratification sociale rigide, le personnage principal (Winston Smith), découvre à mesure que l'histoire progresse, la véritable nature du régime érigé en une quasi-théocratie, gravitant autour de la figure irréelle mais omniprésente de Big Brother.
Sous cette dictature polymorphe et insaisissable, tout est faux, de l'idéologie officielle aux informations, du manuel d'histoire au langage, ainsi qu'aux personnages dont certains n'ont même jamais existé, des objectifs du régime jusqu'aux plus élémentaires relations humaines... cette falsification va parfois jusqu'aux décors...
Tout le système dépeint dans 1984 semble en fait n'avoir qu'un but : l'anéantissement de l'être humain dans ses fondations mêmes.
À cette vision épouvantable, on en vient à se demander quelles forces, dans cette dystopie historique, sont réellement à l'oeuvre. Car il semble émaner, en arrière-plan - à la vue de l'entreprise de destruction menée par l'Angsoc, le parti unique sans âme ni visage - quelque chose de non-humain.
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