La gouvernante nous appelait pour le déjeuner vers treize heures et nous rabâchait le cérémonial immuable, de son accent détestable.
- Vous allez aux toilettes, vous faites "coulette" ou "pousse-pousse", vous vous lavez les main et le "petit plum". Dépêchez-vous mesdemoiselles...
Nous aurions pu mourir vingt fois, mais nous sommes chaque fois sortis indemnes des nombreuses maladies contractées en prison.
Certaines maladies ont été très graves : fièvres puissantes, infections, diarhées et virus inconnus. D'autres étaient moins féroces: angines et bronchites, maux de tête ou de dents, hémorhoïdes, rhumatisme. Mais elles n'en étaient pas moins douloureuses parce que nous n'avions aucun médicament à notre disposition. Je soignais tout à l'huile d'olive.
La pauvre Mimi eut aussi des hémorhoïdes si nombreuses et si grosses qu'elle perdait des litres de sang chaque jour par les plaies fissurées. Impossible dans ces conditions d'aller au toilettes.
Ses gencives étaient blanches, son teint terreux, elle n'avait plus d'ongles à ses orteils. Elle était en train de mourir devant nous et nous ne pouvions rien faire.
Tout me paraissait normal : l'argent, le faste, le pouvoir, la royauté, la soumission. Autour de moi, les gens étaient si dociles que même si on avait les yeux noirs, ils vous complimentaient sur le bleu de votre regard parce qu'on le leur avait ordonné.
Enfin, notre emprisonnement était bien dans la tradition ancestrale des punitions infligées par le Palais. Pour briser un opposant, on le faisait disparaître, son nom était banni, le prononcer valait les pires ennuis à celui qui avait osé braver la loi tacite. Mais on ne le tuait pas. On attendait sa mort.
Aujourd'hui, j'oscille entre le ressentiment le plus profond et le désir sincère de ne plus éprouver de haine. La haine ronge, la haine paralyse et empêche de vivre. La haine ne me fera jamais rattraper les années perdues.
En parlant du désert:
"Là bas, nul besoin d'artifices, je suis vraiment moi-même. Rien d'important que l'infini."
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Mais le roi pouvait se montrer terriblement sévère. À l'âge de 8 ans, à Temara, je subis une punition particulière appelée falakha pour je je sais plus quelle bêtiseque Lalla Mina et moi avions commise. Deux esclaves du feu nous prirent chacune sur leur dos, la tête et les jambes de chaque côté de leurs épaules, et le roi frappa sur la plante de nos pieds nus à coups de nerf de bœuf.
c'est une belle leçon d'espoir".
Il m'a sauvée de la mort, il a transformé mon obscurité en clarté.
Maman chérie dont je n'imagine pas, dans mon paradis enfantin, qu'on puisse un jour me séparer.