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Critique de PhilippeCastellain


Il existe à Rome une aristocratie dite ‘noire'. Rien à voir avec sa couleur de peau, mais une lointaine survivance du temps où le pape régnait sur un état indépendant au centre de la péninsule. Quand l'Italie fut unifiée par Victor-Emmanuel II et Garibaldi, ces territoires y furent annexés. En signe de protestation le pape de l'époque, Pie IX, se retira dans le palais du Vatican et s'y déclara enfermé. Une partie de la noblesse de son ancien royaume lui resta indéfectiblement fidèle, et refusa toute compromission avec le nouveau pouvoir. En 1929 les accords du Latran réglèrent la question en recréant un minuscule état souverain pour le pape, et ce dernier récompensa ses fidèles en leur accordant une double citoyenneté fort pratique.

Nous suivons donc son éminence le prince de San Stefano, dont la lignée était déjà ancienne du temps des croisades. Des terres ancestrales, il ne lui reste plus qu'un palais tombant en ruine. Et de ce palais même, il ne lui reste que trois pièces. Tout le reste est loué à des locataires qui payent leur loyer quand – et si – ils peuvent. Dans les trois pièces où il vit, et où la lumière ne pénètre que parcimonieusement, le prince conserve quelques débris de sa splendeur : un trône destiné aux visites papales et un crucifix d'argent. Pour le reste il maintient un train de vie d'une austérité extrême, se contentant du minimum et redistribuant tout le reste, conformément à son idéal chrétien inspiré de Saint François d'Assise. Profondément pieux, servant la messe tous les jours, camérier secret du pape, sa foi est la pierre angulaire de sa vie.

Avec lui ne vit qu'un vieux serviteur, entré à son service quand il était adolescent. Son épouse est morte, et leurs quatre enfants ont eu des destins aussi variés qu'intéressants : se fille ainée est mère supérieure dans un couvent ; la deuxième a épousé un mondain avec lequel elle mène une vie luxueuse et désordonnée, personne ne sait avec quel argent ; la troisième est mariée à un industriel riche, plébéien, et qui la trompe allègrement. Quant à son dernier-né, son fils unique, l'héritier de son nom et de tous ses titres, c'est un libre-penseur dont les frasques et la vie dissolue font régulièrement la une des gazettes mondaines…

Nous suivons donc la haute et maigre silhouette du prince à travers l'occupation de Rome par les Allemands, son bombardement et sa libération ; dans les salons où les riches industriels exhibent les derniers survivants de la noblesse ; dans les salons du Vatican et les quartiers misérables de Rome ; mais surtout dans le petit salon obscur où se déroule l'essentiel de sa vie… Assez régulièrement, son fils ou d'autres quidams surgissent et balancent au prince ses quatre vérités, le traitant de vieux bigot et de produit du passé attardé à une époque qui n'a plus besoin de lui.

Il écoute. Et reste fidèle à lui-même. Ceux qui lui lancent ces reproches sauront-ils en faire autant ? Pas sûr…

Une surprenant découverte littéraire qui immerge le lecteur dans l'ambiance si spéciale de la ville éternelle, dans la gaieté paisible d'un peuple sûr de vivre dans l'une de ces rares cités qui ont tant brillé que rien, pas même le temps, ne pourra ternir leur gloire.
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