AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de JustAWord


L'exercice du premier roman est peut-être l'un des plus grands challenges que doit affronter un écrivain. Avec Trop Semblable à l'éclair, l'américaine Ada Palmer relevait le gant avec une audace fabuleuse. Worldbuilding extraordinaire, intelligence de l'intrigue et personnages succulents, ce premier volume n'en restait pas moins une moitié d'histoire. Ada y posait en effet une foule de questions tandis que Mycroft Canner, notre narrateur, avouait dès le départ qu'il ne s'agissait que des quatre premiers jours de son témoignage. Il en restait donc trois autres que l'on retrouve dans la suite de la série Terra Ignota avec Sept Redditions. le défi est de taille puisque la qualité du premier volume a placé la barre très haut pour ce qui constitue en quelque sorte la fin de la première moitié de l'histoire (rappelons à toutes fins utiles que l'ensemble comptera au final quatre volumes). C'est ainsi qu'Ada Palmer se retrouve avec une pression monstrueuse sur les épaules car elle doit enfin répondre de façon convaincante aux multiples interrogations posées par Trop Semblable à l'éclair.

Trop Semblable à l'éclair était un roman d'introduction posant les intrigues d'un futur utopique où la paix régnait depuis près de trois cent ans. On y découvrait en fin de volume que toutes les Hives étaient liées par l'entremise d'une certaine Madame D'Arouet et son bordel mêlant sexe, politique et philosophie des Lumières. Ada Palmer brossait à la fois le portrait d'une époque entièrement différente de la nôtre mais également d'un pouvoir incestueux où tous les puissants partageaient des accointances suspectes. Sept Redditions reprend exactement là où s'était arrêté son prédécesseur et s'ouvre sur un chapitre narré par nul autre que Sniper Cardigan Saneer en personne. Maintenant que l'américaine n'a plus besoin de présenter ses personnages (même si quelques nouveaux venus viendront étoffer l'histoire), elle peut se concentrer sur les tenants et aboutissants de son intrigue pour faire bouger les choses. Si Trop Semblable à l'éclair était une mise en place magistrale d'un gigantesque échiquier politico-socio-religieux, Sept Redditionsse révèle une époustouflant résolution métaphysique et politique de cette partie d'échecs planétaire.

Il est difficile d'expliquer la puissance du roman d'Ada Palmer sans déflorer une intrigue tellement dense qu'elle ne laisse aucun repos à son lecteur. Sept Redditions, comme son prédécesseur, parle d'abord d'Utopie,d'un monde où les gens ne connaissent plus la faim, la pauvreté ou la guerre. Alors que la plupart des auteurs modernes de SF s'orientent vers la dystopie ou le post-apocalyptique, Palmer tente d'expliquer les rouages de l'Utopie et ses failles au travers de trois aspirations utopiques distinctes : la terraformation de Mars par les Utopiens, la numérisation de l'être par les Brillistes et une société stable et pérenne pour l'ensemble des Hives. En deux romans, l'américaine dissèque les défauts d'un système sensé être parfait pour en consacrer la nature humaine comme le principal point faible. En créant un univers aseptisé où le genre et les caractères sexuels sont ignorés et lissés, où la croyance reste quelque chose de strictement confinée et encadrée, la société du XVème siècle semble nier deux fondamentaux de l'être humain. Ada Palmer démontre avec une maestria proprement ébahissante que le sexe et les croyances sont des armes, que vouloir amputer l'homme de ces deux fondamentaux revient à oublier les racines profondément enfuies dans celui-ci. de fait, Sept Redditions joue de cette réflexion passionnante pour influer sur le cours de son intrigue. C'est d'ailleurs cette capacité à mêler pensée philosophique et péripéties narratives qui fait de Sept Redditions un chef d'oeuvre pur et simple.

Tout comme dans Trop Semblable à l'éclair, Mycroft continue à nous faire (re)découvrir les Philosophes des Lumières et les courants de pensée de l'époque. Ce qui devrait en toute logique s'avérer rébarbatif ne l'est pourtant jamais une seule seconde. L'auteure américaine comprend que pour mêler son érudition et la pléthore de références littéraires, philosophiques et historiques qui parsème son récit, elle se doit de leur donner une véritable place au sein de celui-ci. Chaque discussion, monologue ou flash-back a un rôle à jouer dans l'intrigue générale de Sept Redditions. Rien n'est jamais gratuit et tout, absolument tout, s'avère passionnant ! Ada Palmer mène une réflexion profonde sur le rapport de l'homme à Dieu à travers l'ensemble de ses personnages et, plus particulièrement, Mycroft Canner, J.E.D.D MASON, Bridger et Dominic Seneschal. Sans cesse ébouriffant, ce questionnement fouille au-delà des limites habituelles du genre. A quoi sert de croire ? Comment croire ? Comment expliquer l'absence apparente de Dieu ? Pourquoi ce besoin impérieux de croire ? En y répondant, Palmer fait non seulement preuve d'une érudition formidable, mais elle laisse également le soin au lectorat de prendre position et de se poser lui-même ses questions devenant en quelque sorte le sensayer de son lecteur. Il en ira de même avec le pouvoir : démocratie ou dictature ? Comment diriger un monde uni avec plusieurs personnes à sa tête ? Comment exercer un véritable pouvoir absolu et surtout quelles en sont les vraies mamelles ?

À cela, il faut ajouter un autre fil rouge : la guerre. Au fond, Trop Semblable à l'éclair et Sept Redditions parlent de guerre. Comment arrive-t-on à entrer en guerre ? En s'inspirant des événements qui ont conduit à la Première Guerre Mondiale, mais aussi de la guerre de Troie ou de la vie d'Alexandre le Grand, Ada Palmer synthétise la notion de conflit pour démontrer que faire la guerre est le propre de l'homme.
Evidemment, toutes ces considérations philosophiques peuvent paraître bien lourdes mais il n'en est rien. Car même si le lecteur ne possède pas toutes les clés culturelles et/ou intellectuelles pour décoder les innombrables références jalonnant Sept Redditions, il reste encore la quasi-perfection narrative du roman. Peuplé de personnages grandioses, Mycroft Canner et Bridger en tête, ce second volume s'avère palpitant et bourré de rebondissements. En rendant hommage au drame Shakespearien tout en faisant tomber ses dominos avec une audace inouïe, Ada Palmer prouve qu'il n'est pas besoin de dizaines de morts pour laisser son lecteur pantois. Indépendamment de son fond philosophique, Sept Redditions est une histoire science-fictive proprement ébouriffante de la première à la dernière page, offrant tour à tour des visions grandioses, étranges, inquiétantes et audacieuses en diable.

Sept Redditions apporte au lecteur toutes les réponses espérées et bien davantage encore. Ada Palmer tire les ficelles d'une intrigue proprement époustouflante habitée par des personnages tous plus fascinants les uns que les autres et soutenue par une réflexion philosophique et politique de haute volée.
En utilisant au mieux le worldbuilding déjà largement mis en place précédemment et en comprenant que l'érudition d'un roman ne doit pas être une seule vitrine pour l'auteur mais bien le moteur d'une intrigue ambitieuse, Ada Palmer offre un chef d'oeuvre complet, le genre de roman amené à devenir un classique de la science-fiction et même au-delà !
…And this is how Ada Palmer steals the show !
Lien : https://justaword.fr/terra-i..
Commenter  J’apprécie          220



Ont apprécié cette critique (20)voir plus




{* *}