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Critique de milan


Cevdet Bey et ses fils est un roman comme on les aime. Un roman complet. Tout y est, le grand et le petit, le personnel et le public, le banal quotidien et l'état d'âme personnel. Et en plus,le tout savamment dosé. On suit sur trois générations l'histoire d'une famille de commerçants musulmans dans une Turquie en gestation. le terme musulman ici n'est pas anodin en association avec "commerçant", car en effet, dès le début de l'histoire, celle de Cevdet Bey, le premier "conflit" interne consiste dans le fait d'avoir choisi le métier de commerçant, jugé indigne pour un musulman à l'époque. Ce choix, cartésien et allant plus ou moins de soi pour Cevdet Bey qui n'a pas eu la chance de suivre des études ou d'être un militaire va susciter en lui de multiples réflexions, doutes quant à sa place et son rôle dans la société. Il est tiraillé entre une fierté somme toute légitime d'avoir amorcé une réussite économique en embrassant ce métier presque honteux, et un relent de culpabilité qui le taraude sans cesse, culpabilité alimentée par le discours de son frère, moribond, militaire et sorte d'anarchiste qui l'accuse et l'insulte constamment pour avoir choisi une vie confortable, un statut social alors que l'essentiel est ailleurs, est dans cette jeunesse turque qui veut renverser le sultan, tout détruire et reconstruire sur une base tournée un peu plus vers le monde, l'Europe principalement. Cevdet, en se baladant dans Istanbul en 1905 alterne entre douces rêveries à propos de sa future épouse, de leurs futurs enfants, dans leur future demeure, mais ne peut s'empêcher de penser qu'il est peut être superficiel, au regard de ce frère si engagé, si passionné et libre.....tellement libre qu'il a abandonné femme et enfant pour se consacrer à sa cause....enfin quand il le peut, entre deux saouleries et après lui avoir tapé de l'argent qu'il promet de rembourser à chaque fois, entre deux flots de moqueries contre ce commerçant pitoyable. Osman et Refik sont les fils de Cevdet. Ils ont la trentaine maintenant, et sont en passe de prendre la relève de leur père dans la gestion de l'entreprise familiale.Une génération plus tard donc, le pays et le monde ont changé, l'empire ottoman n'existe plus, une guerre mondiale a changé la donne pour la planète entière, et cette petite famille dans son train train quotidien reflète ce bouleversement. C'est surtout Refik le cadet qui reprend le cercle infernal de l'auto-questionnement, voire de l'autoflagellation. Il est d'un tempérament doux et chaleureux, et....il s'ennuie...entouré d'une femme sublime , d'un bébé radieux, d'une fortune bien installée (bien qu'acquise de manière douteuse par Cevdet qui a profité du chaos de la guerre), mais surtout de deux amis de collège: Omer d'abord, le beau gosse qui revient d'Angleterre pour conquérir le monde, méprise tout et tous et veut devenir riche...en tout cas, surtout ne pas finir comme Refik , pépère de famille à la vie plan plan. Et Muhittin ensuite, le poète pas beau, tout le temps en colère contre la planète entière et qui a décidé de se suicider avant trente ans si d'ici là il n'a pas été reconnu comme poète. Entouré de ces deux amis exaltés chacun de son côté, et de sa famille qui donne une apparence (fausse) de perfection, Refik se pose tout le temps des questions et rumine sur son être, son rôle, sa place et sa vie et décide chaque jour de passer à l'action afin de changer les choses. Osman n'est pas en manque, bien que ses ennuis soient plus terre à terre. La seconde guerre mondiale toque à la porte, et le nationalisme turque ponte son nez sous le masque du panturquisme, et tous essayent de trouver leur place avec plus ou moins de réussite. 1970, c'est au tour de Ahmet. Fils de Refik et artiste peintre. Lui aussi (ben voyons) se pose un tas de questions, en rapport toujours avec sa famille, son état d'artiste et de son rôle dans la société turque encore une fois en pleine révolution. Cevdet Bey est typiquement un roman où les histoires personnels baignent dans la grande histoire, sont influencées par elles et finissent par la faire. A travers cette famille, Orhan Pamuk nous présente un pays entre deux cultures et deux civilisations:l'Orient et l'Occident. Cette dualité, en plus de la richesse qu'elle implique est source de désorientation pour les turques qui tendent un peu l'oreille à ce qui se passe et prennent le courage de regarder au delà du quotidien. le monde va vite en ce début de 20ème siècle et la Turquie évolue en deux tempos. Chaque personnage se trouve obligé de choisir le sien...et ce n'est pas si facile. Ajoutez à cela des références qui vous suivent tout au long de la lecture: Hoderlin et Goya et vous comprendrez pourquoi ce roman est vraiment très prenant, avec d'autres choses à dire, notamment à propos des personnages féminins, sur les avis des uns et des autres sur la "nature" de la société turque et de l'Orient comparées à l'Occident, ainsi que sur la place et le rôle de l'art, de l'humanisme, de la culture dans une nation en gestation mais ce serait trop long ici. A lire donc.
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