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EAN : 9782070137930
768 pages
Gallimard (20/05/2014)
3.59/5   60 notes
Résumé :

C’est dans le quartier occidental de Nişantaşi que Cevdet Bey, un riche marchand musulman, s’installe avec son épouse pour fonder une famille. Nous sommes en 1905 et le sultan Abdülhamid II vient d’échapper à un attentat. Les élites turques contestent de plus en plus fortement le règne despotique des dirigeants ottomans, le pays se trouve alors à un tournant historique que Cevdet a pour projet de relater dans ses Mémoires.

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Critiques, Analyses et Avis (8) Voir plus Ajouter une critique
Premier roman d'Orhan Pamuk, publié en Turquie en 1982, il n'est paru en France qu'en 2014, sans doute grâce à la notoriété apportée à l'auteur par son prix Nobel de littérature. le livre est en effet très long : presque mille page dans la version poche, et fait beaucoup référence, pas toujours de façon explicite, à l'histoire de la Turquie.

Il s'agit d'une grande saga familiale, sur trois générations, chaque partie du livre se place à un moment crucial de l'histoire du pays. Dans la première partie, nous faisons connaissance avec le Cevdet Bey du titre, sur le point de se marier, de donner les assises à sa vie future, en 1905, au moment de la prise de pouvoir par les Jeunes Turcs, amenés par Mustafa Kemal, et la déposition d'Abdülhamid II.

Dans la deuxième partie, la plus longue, et qui se déroule sur plusieurs années, dans les années trente du siècle dernier, nous retrouvons Cevdet Bey, devenu un vieil homme, entouré de sa femme, de ses trois enfants, des premiers petit-enfants, dans sa luxueuse maison. Il a su faire prospérer son commerce, la succession est assurée. Cette partie est plus chorale, même si petit à petit, Refik, le fils cadet, apparaît comme le personnage principal, d'autres se voient accorder beaucoup de place, que ce soit dans la famille, où à l'extérieur, comme les deux meilleurs amis de Refik. Mustafa Kemal est sur le point de mourir, certains vont prendre la succession, l'Europe se dirige pendant ce temps vers la deuxième guerre mondiale.

Dans la troisième partie, qui conclut le roman, nous retrouvons certains personnages, nous avons les nouvelles d'autres, mais le récit suit Ahmed, le fils de Refik, jeune peintre. Nous sommes en 1970, à la veille du coup d'état militaire.

Les personnages du roman sont issus de la riche bourgeoisie qui va prendre son essor grâce aux changements initiés par Mustafa Kemal, qui s'occidentalise, dont la richesse et les modes de vie la coupent du reste de la population, dont le quotidien est bien plus difficile. Cette façon de suivre une famille de bourgeoisie aisée sur plusieurs générations, avec en arrière plan l'histoire du pays et du monde, rappelle bien sûr un certain nombre de livres célèbres : les Buddenbrook de Thomas Mann, les Forsyte de John Galsworthy, les Thibault de Roger Martin du Gard etc. de grands cycles romanesques qui ont marqué plusieurs générations de lecteurs et qui ont valu la reconnaissance à leurs auteurs.

Mais ces grands cycles romanesques centrés sur une classe moyenne aisée, qui ont marqué la première moitié du vingtième siècle, ont un côté un peu anachronique dans les années 80. Ce que reconnaît l'auteur lui-même. le livre n'est pas dépourvu de certaines maladresses de construction : la deuxième partie tellement plus longue que les deux autres, qui se passent elles, sur une seule journée, des longueurs dans cette deuxième partie, des répétitions, et le personnage principal, Refik, même s'il est sympathique, n'a pas une personnalité suffisamment forte pour le nombre de pages qui lui sont consacrées.

Néanmoins, cela fonctionne très bien, le livre est très prenant et très agréable à lire. Orhan Pamuk sait maintenir l'intérêt du lecteur, ce qu'il évoque lui tient à coeur : il est lui-même issu du même milieu que ses personnages, et c'est un peu ses souvenirs, son histoire et ses questionnements qu'il nous dit à travers des héros imaginaires.

J'aime beaucoup les livres d'Orhan Pamuk et je suis heureuse d'avoir pu découvrir son premier roman, qui même s'il ne sera pas mon oeuvre préférée de l'auteur, a été un bon moment de lecture, et m'a permis de voir le chemin qu'il a parcouru dans sa création littéraire.
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Resté inédit en français depuis sa publication en Turquie en 1982, "Cevdet Bey et ses Fils" parait enfin. C'est le premier roman rédigé par le Prix Nobel de Littérature Orhan Pamuk.

Nous l'avions laissé avec "Le Musée de l'Innocence", histoire d'un amour fou, nous le retrouvons trente ans plus tôt, auteur d'une saga familiale, prémices de ses obsessions préférées, une oeuvre très ambitieuse pour un début (qu'il préfère renier un peu aujourd'hui) : "Cevdet Bey et ses fils" narre des épisodes de la vie de trois générations d'homme dans une Turquie encore muselée par un Empire moribond et à l'aube du modernisme et de la prise du pouvoir Jeune-Turc (1905), le milieu des années 30 avec comme figure centrale bien évidemment Atatürk, juste avant et juste après sa mort, les années 70 et ses coups d'état, cette République figée dans l'histoire, avec ses espoirs déçus, tremblante et victime de ses attaques internes incessantes.

Dans une Istanbul qui ne sort pas du cadre de sa jeunesse, le milieu bourgeois du quartier de Nisantasi, les personnages sont essentiellement Cevdet Père qui inaugure le récit, puis son fils cadet et ses amis, puis encore le fils de son second fils. A eux trois, ils figurent aussi des personnages illustrant un contexte socio-économique et historique, à la manière d'un Thomas Mann qui dans ses "Buddenbrook" opère le même lien entre classe sociale et portrait plus large d'une époque.

Néanmoins, et même si les comparaisons littéraires peuvent être nombreuses (Balzac et aussi Dostoïevski, excusez du peu), le roman n'est pas à l'abri d'erreurs de jeunesse. Je citerai la passion d'un jeune écrivain qui veut tout dire, par excès, dès sa première oeuvre. Pamuk a près de trente ans lorsqu'il écrit ce roman, après avoir renoncé à être peintre, car il le dira souvent lors de ses interviews, il n'était pas assez doué. Comme un de ses personnages, avait-il décidé aussi de mourir à trente ans s'il n'avait pas réussi à publier ? La réponse n'est pas dans le roman.

Mais ce personnage de poète raté n'est rien à côté de celui du fils de Cevdet, jeune ingénieur élevé dans du coton, à qui tout devrait réussir (il a une charmante épouse, il est jeune père, il a des amis avec qui il passe des nuits à refaire le monde, il ne se fatigue pas au bureau, etc.). Et pourtant, il s'ennuie. Désespérément. Il ne sait pas quoi faire. Prendre une maîtresse ? On sent l'idée le chatouiller cinq minutes mais ce serait avoir trop d'efforts à fournir. Il choisira de faire une fugue interminable. Les pages qui lui sont consacrées, écrites à la première personne, sont parmi les plus nombreuses du roman. C'est l'occasion aussi, non pas seulement de suivre les monologues contradictoires d'un individu tiraillé par ses désirs et son caractère velléitaire, mais aussi d'approcher le fameux "hüzün" turc.

Le "hüzün" c'est un sentiment de tristesse et de mélancolie propre à la culture turque et déclinée souvent en musique, au cinéma, en poésie et en littérature. Pamuk a écrit de longues pages sur ce sentiment dans son "Istanbul" il y a quelques années déjà. le "hüzün" c'est aussi la sensation d'un bonheur perdu, lointain, parce que le temps présent éloigne de la pureté autrefois ressentie. Les personnages du roman sont d'ailleurs sans cesse hantées par les mêmes questions : que faire pour vivre, vers qui et quoi se tourner ? C'est l'occasion aussi de décliner une obsession turque et "pamukienne" : comment vivre dans ce pays entre orient et occident ? que prendre de la culture occidentale et comment ne pas renier la culture orientale et vivre d'un mélange des deux, au risque d'y perdre son âme véritable, autre thème majeur et brillamment décliné dans "Mon Nom est Rouge" ? Comment vivre lorsqu'on est à la fois soi-même et s'analysant soi-même, soi-même et celui qu'on prétend devenir. L'auteur lui-même se pose la question tout au long de ce roman et plus tard au fil de ces différentes oeuvres.

"Une fois que le diable s'est immiscé en vous, que votre âme a été touchée par les lumières de la raison, vous devenez un étranger et, quoi que vous fassiez, vous le resterez. Il y a un désaccord entre le monde dans lequel vous vivez et votre âme, je le sais, je le vois bien. Soit vous changez ce monde, soit vous restez à l'extérieur !"
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Orhan PAMUK. Cevdet Bey et ses fils.

Troisième livre de cet auteur que je lis et auquel je décerne une bonne note. En effet, cet écrivain turc nous promène dans son pays, nous permet de visiter la capitale et nous déroule une belle histoire familiale. Cette saga, présentée dans ce volume nous décrit avec de nombreuses précisions un univers de riches commerçants musulmans qui ont construit un immense empire. Mais au fil des générations une désescalade s'opère.

Ce récit présente trois parties. Dans la première, qui débute en 1905, Cevdet implante son commerce florissant dans le quartier occidental de Nisantasi. Avec son épouse, Nigan Hanim, il a trois enfants. Un premier fils, Refik, puis un second, Osman et la benjamine, Ayse. L'aîné Refik, s'unira à Perihan. de cette union, naitront Melek, une fille puis quelques années plus tard, Ahmet, un garçon qui rompra avec la tradition et sera artiste peintre. Cette famille embourgeoisée, Cevded fait prospérer son commerce, s'enrichit et construit une superbe demeure où tous résident. C'est au cours de cette période que Mustapha Kemal ATATURK prend la tête de cet immense territoire, la Turquie et jette les bases de la République Turque dont il devient président.

La seconde partie, la plus longue, plus de 550 pages mais l'ouvrage en comporte 750, nous plonge dans les arcanes politiques et les différentes instances administratives, commerciales, internationales et les évènements politiques avec la seconde guerre mondiale. Les deux fils de Cevded sont associés dans la gestion du commerce florissant crée de toutes pièces par leur père. Mais Refik s'éloigne peu à peu de cette gestion et il a d'autres projets. Sera-t-il en mesure de les mettre en application ? Il en est de même dans sa vie personnelle, familiale ? Il s'exile pendant de longs mois, abandonne femme et enfant pour rejoindre un ami, ingénieur comme lui et qui prolonge le réseau ferroviaire vers l'ouest de la Turquie. Nous suivons les évènements politiques qui secouent cette jeune république. Résistera-t-elle à toutes ces contraintes, ces agitations menées par les partis en présence ? Qu'en sera-t-il de cette puissante famille commerçante ?

La troisième et dernière partie est dominée, par Ahmet, petit-fils du héros qui donne le titre à cette saga, nous abordons les années 1970, à la veille du coup d'état qui mettra fin aux années républicaines voulues par ATATURK et l'instauration d'une nouvelle politique. Cette dernière partie se déroule sur une seule journée et une soirée, au cours de laquelle, l'aieülle, épouse de Cevdet décède.

Orhan PAMUK nous dépeint la Turquie au cours du XXème siècle. Il nous démontre les rouages politiques de ce pays, l'évolution puis la révolution subie par les habitants. Une page d'histoire, tirée de la grande Histoire. Cette vision, de la bourgeoisie qui s'occidentalise nous montre une facette décalée du peuple soit le monde ouvrier, soit le monde rural. Les personnages sont attachants et les coutumes bien décrites. Nous assistons à l'agrandissement d'Istanbul, l'implantation des instances administratives, à Ankara, la capitale, l'évolution ou la régression de l'agriculture, la naissance de nouvelles perspectives…. Une approche du modernisme favorisé par le développement des voies ferroviaires de communication et l'ouverture vers l'Europe. Mais que reste-t-il des grandes théories instaurées par Kemal ATATURK. J'ai lu précédemment de cet auteur : « Cette étrange chose en moi » en 2017, et « Mon nom est Rouge » et je vous invite à les lire. Je félicite Orhan de nous faire découvrir son pays. J'ai visité une partie de la Turquie en 1992. Je suis prête pour faire un nouveau pèlerinage…. Mais je ne suis plus toute jeune… Bonne journée.
( 05/04/2024).
Lien : https://lucette.dutour@orang..
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Cevdet Bey et ses fils est un roman comme on les aime. Un roman complet. Tout y est, le grand et le petit, le personnel et le public, le banal quotidien et l'état d'âme personnel. Et en plus,le tout savamment dosé. On suit sur trois générations l'histoire d'une famille de commerçants musulmans dans une Turquie en gestation. le terme musulman ici n'est pas anodin en association avec "commerçant", car en effet, dès le début de l'histoire, celle de Cevdet Bey, le premier "conflit" interne consiste dans le fait d'avoir choisi le métier de commerçant, jugé indigne pour un musulman à l'époque. Ce choix, cartésien et allant plus ou moins de soi pour Cevdet Bey qui n'a pas eu la chance de suivre des études ou d'être un militaire va susciter en lui de multiples réflexions, doutes quant à sa place et son rôle dans la société. Il est tiraillé entre une fierté somme toute légitime d'avoir amorcé une réussite économique en embrassant ce métier presque honteux, et un relent de culpabilité qui le taraude sans cesse, culpabilité alimentée par le discours de son frère, moribond, militaire et sorte d'anarchiste qui l'accuse et l'insulte constamment pour avoir choisi une vie confortable, un statut social alors que l'essentiel est ailleurs, est dans cette jeunesse turque qui veut renverser le sultan, tout détruire et reconstruire sur une base tournée un peu plus vers le monde, l'Europe principalement. Cevdet, en se baladant dans Istanbul en 1905 alterne entre douces rêveries à propos de sa future épouse, de leurs futurs enfants, dans leur future demeure, mais ne peut s'empêcher de penser qu'il est peut être superficiel, au regard de ce frère si engagé, si passionné et libre.....tellement libre qu'il a abandonné femme et enfant pour se consacrer à sa cause....enfin quand il le peut, entre deux saouleries et après lui avoir tapé de l'argent qu'il promet de rembourser à chaque fois, entre deux flots de moqueries contre ce commerçant pitoyable. Osman et Refik sont les fils de Cevdet. Ils ont la trentaine maintenant, et sont en passe de prendre la relève de leur père dans la gestion de l'entreprise familiale.Une génération plus tard donc, le pays et le monde ont changé, l'empire ottoman n'existe plus, une guerre mondiale a changé la donne pour la planète entière, et cette petite famille dans son train train quotidien reflète ce bouleversement. C'est surtout Refik le cadet qui reprend le cercle infernal de l'auto-questionnement, voire de l'autoflagellation. Il est d'un tempérament doux et chaleureux, et....il s'ennuie...entouré d'une femme sublime , d'un bébé radieux, d'une fortune bien installée (bien qu'acquise de manière douteuse par Cevdet qui a profité du chaos de la guerre), mais surtout de deux amis de collège: Omer d'abord, le beau gosse qui revient d'Angleterre pour conquérir le monde, méprise tout et tous et veut devenir riche...en tout cas, surtout ne pas finir comme Refik , pépère de famille à la vie plan plan. Et Muhittin ensuite, le poète pas beau, tout le temps en colère contre la planète entière et qui a décidé de se suicider avant trente ans si d'ici là il n'a pas été reconnu comme poète. Entouré de ces deux amis exaltés chacun de son côté, et de sa famille qui donne une apparence (fausse) de perfection, Refik se pose tout le temps des questions et rumine sur son être, son rôle, sa place et sa vie et décide chaque jour de passer à l'action afin de changer les choses. Osman n'est pas en manque, bien que ses ennuis soient plus terre à terre. La seconde guerre mondiale toque à la porte, et le nationalisme turque ponte son nez sous le masque du panturquisme, et tous essayent de trouver leur place avec plus ou moins de réussite. 1970, c'est au tour de Ahmet. Fils de Refik et artiste peintre. Lui aussi (ben voyons) se pose un tas de questions, en rapport toujours avec sa famille, son état d'artiste et de son rôle dans la société turque encore une fois en pleine révolution. Cevdet Bey est typiquement un roman où les histoires personnels baignent dans la grande histoire, sont influencées par elles et finissent par la faire. A travers cette famille, Orhan Pamuk nous présente un pays entre deux cultures et deux civilisations:l'Orient et l'Occident. Cette dualité, en plus de la richesse qu'elle implique est source de désorientation pour les turques qui tendent un peu l'oreille à ce qui se passe et prennent le courage de regarder au delà du quotidien. le monde va vite en ce début de 20ème siècle et la Turquie évolue en deux tempos. Chaque personnage se trouve obligé de choisir le sien...et ce n'est pas si facile. Ajoutez à cela des références qui vous suivent tout au long de la lecture: Hoderlin et Goya et vous comprendrez pourquoi ce roman est vraiment très prenant, avec d'autres choses à dire, notamment à propos des personnages féminins, sur les avis des uns et des autres sur la "nature" de la société turque et de l'Orient comparées à l'Occident, ainsi que sur la place et le rôle de l'art, de l'humanisme, de la culture dans une nation en gestation mais ce serait trop long ici. A lire donc.
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Voici enfin traduit en français le premier roman d'Orhan Pamuk (paru en 1982, soit 24 ans avant l'obtention du prix Nobel), que certains considèrent en Turquie comme son meilleur ouvrage et qui, pour ma part, est le plus narratif.
Il s'agit d'une saga familiale sans doute fortement autobiographique qui se déroule en trois parties correspondant à des moments cruciaux de l'Histoire de la Turquie moderne : en 1905 lorsque le sultan Abdülhamid survit à un attentat mais est de plus en plus contesté, en 1938 à la veille et au lendemain de la mort d'Atatürk, en 1970 peu avant le second coup d'Etat militaire.
Les personnages principaux ressortant de l'immense fresque familiale sont respectivement : Cevdet Bey, le fondateur d'une des premières entreprises commerciales dirigées par un musulman dans le pays ainsi que de sa maisonnée, par opposition à son frère Nusret, velléitaire révolutionnaire francophile rongé par l'alcoolisme et la tuberculose ; Refik, fils de Cevdet, qui, contrairement à son frère Osman, délaissera l'entreprise familiale suivant ses aspirations de réformateur social dans les domaines agraire et culturel-éditorial, et ses amis Ömer, qui abandonne vite ses ambitions personnelles démesurées pour un isolement campagnard, et Muhittin qui troque ses élans de poète maudit contre l'idéologie d'extrême-droite ; Ahmet, fils de Refik, artiste-peintre essayant de trouver une fonction révolutionnaire à son art.
A vouloir résumer 750 p. en une phrase, il s'agit d'un roman sur le sentiment d'inadaptation donc l'angoisse que provoquent les interrogations sur le sens de leur vie individuelle chez trois générations d'hommes également mais différemment incapables de s'engager dans la vie publique, alors qu'ils ressentent l'impératif moral de le faire. Tension entre élan vers la cité et repli sur soi. Culpabilité d'appartenance ou d'ambition d'appartenance de classe, laquelle se traduit en veulerie paralysante -et son symptôme alcoolique-. Étant donné d'autre part que l'action politique, ou l'action tout court, ne résiste pas au jugement de la raison qui la trouve dérisoire, inopportune, voire malhonnête. Réalisme-compromissions vs. idéalisme-verbiage. Modernité vs. "aménagements".
Ici Pamuk n'a pas le souci d'expliquer, de démontrer : il accumule, amoncelle, entasse, amasse (l'essentiel et l'essentiellement superflu) - c'est ce qui nous en apprend tant. Mais il s'agit d'un premier roman : les hardiesses stylistiques qui viendront ensuite (indisposer tant de lecteurs et en enthousiasmer quelques-uns dont je suis) sont encore absentes.

PS : Bien que ce soit une roman "d'hommes", les personnages féminins sont tous très joliment ciselés.
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Citations et extraits (27) Voir plus Ajouter une citation
L'histoire Turque structure-t-elle votre oeuvre , et ce premier roman en a -t-il posé les fondements ?
--Il en a posé les fondements thématiques , mais non stylistiques ou formels . En effet c'est un roman très classique , presque anachronique , qui raconte de façon linéaire une histoire "normale " . Il comporte quelques développements psychologiques sur mes personnages , tous issus de la bourgeoisie , mais il consiste avant tout en une succession d'épisodes , d'instants importants de leur vie , combinée aux événements de l'histoire Turque . Il y a dans ce roman une dimension autobiographique : je suis issu de la bourgeoisie laïque et occidentalisée qui était très proche d'Atatürk , et partie prenante de son projet de modernisation et laïcisation de la société . Mais elle avait ses moments de fragilité éthique , dans son attitude indéfendable envers les classes défavorisées . Elle reprochait à la population son manque de sophistication et sa résistance à l'occidentalisation .

Un autre sujet , typiquement turc , du livre , c'est le dialogue , ou la fracture , entre Orient et Occident . Comment la Turquie d'aujourd'hui vit-elle cette double culture ?
-- Ce rapport ambivalent à la modernité et à l'occident s'est aussi rencontré en Russie et au Japon , mais en Turquie , pour des raisons géographiques , il a été un enjeu évident , et définit en quelque sorte l'identité turque. L'histoire de la Turquie contemporaine , repose sur ce désir d'être moderne , laïque , européenne , mondialisée , et la frustration de ne pouvoir y parvenir .

Comment expliquez-vous le maintien au pouvoir d'Erdogan et qu'il compte des partisans parmi les classes
les plus pauvres ?
--C'est pour cela que je parle de contradiction , la gauche turque ne sait pas s'adresser aux pauvres ,ne prend pas en compte leur culture et leur religion . Elle met trop l'accent sur la laïcité qui est plutôt une valeur des classes privilégiées . La Turquie est actuellement traversée par des tensions extrêmes , une colère latente et des divisions internes . Erdogan divise pour régner , c'est en créant des clivages au sein de la population qu'il parvient à faire passer son autoritarisme et la corruption de son régime .....( entretien paru le 5 juin 2014 dans le " Nouvel Observateur ")
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Vous êtes pareils, tous les deux. Ne le prends pas mal mais toi comme ton frère, vous êtes comme ça, rétorqua Fuat Bey en mettant les mains comme des œillères devant ses yeux. Vous ne voyez pas au-delà. Est-ce cela, la vie ? Qu'est-ce que la vie ? Vivre, voir, expérimenter ... La vie est une palette de couleurs. Qu'est-ce que l'existence pour toi ?
page 57.
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Ce repas tant attendu s'achevait. Cette journée aussi allait s'achever, cette fête aussi, puis on attendrait d'autres jours qui s'achèveraient eux aussi, ce qu'elle constaterait avec tristesse. Le temps, la vie avec ses petits éclats brillants filait comme de l'eau entre les doigts.
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La clochette suspendue à la porte du jardin tinta. La tempête mugissait mais Nisantasi était calme. Les arbres gémissaient. Il n'y avait plus l'odeur d'algue et d'iode d'il y a quelques heures. Il n'y avait plus ni la foule ni la fébrile activité du soir. La tempête faisait trembloter les calmes lumières de Nisantasi, l'ordre et la quiétude émanant des fenêtres se fondaient et se dispersaient dans l'air.
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Fuat et Sükrü Pacha m'ont posé la même question : "Qu'est-ce que la vie ?" J'ai répondu à Fuat que cette question était absurde. D'une absurdité sans nom ! A quoi bon se demander des choses pareilles ? Il n'y a que ceux qui lisent trop de livres et qui ont les idées embrouillées pour poser de telles questions.
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Vidéo de Orhan Pamuk
Le nouveau roman "Les Nuits de la Peste" de l'écrivain turc Orhan Pamuk se présente comme le théâtre d'une grande fresque historique qui résonne avec l'actualité. La pandémie mondiale est venue donner une actualité poignante au roman qu'il écrivait depuis trois ans.
Son récit mêlant fiction et réalité raconte les ravages une épidémie de peste dans l'île fictive de Mingher en 1901, contrée de l'Empire Ottoman en déclin. Un livre à la croisée des chemins et des genres. Roman historique, roman d'amour et roman politique, ce livre vient interroger notre rapport à la fiction et au réel, l'imaginaire se mélangeant au réel, et le romanesque à l'historique. La véritable prouesse d'Orhan Pamuk consiste à jouer avec les codes de la fiction et à rendre la frontière poreuse entre l'histoire et la grande Histoire. Au milieu de ce drame humain et politique, l'amour est un refuge pour ceux qui se battent contre l'épidémie.
Orhan Pamuk nous livre une réflexion sur le pouvoir et la liberté, à l'heure où s'amorcent le délitement de l'Empire Ottoman et les conflits de succession entre sultans.
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