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Critique de Mespetitescritiqueslitteraires


Line est née et a grandi au Vietnam. Son enfance n'était que rire, insouciance, amour et liberté. Sous le soleil de Hanoï, la petite fille courait et jouait dans ces rues animées où chaque maison laissait sa porte grande ouverte, où les sourires irradiaient chaque visage.

Hanoï, aux couleurs chatoyantes. Hanoï, terre des ancêtres. Hanoï, gardienne de leurs ossements. Hanoï, terre des mères, des femmes, des filles.

"Des femmes au chapeau conique, courbées, se cassent en deux pour ramasser d'infimes récoltes. Les ancêtres reposent à leurs côtés. Voilà ce que l'on voit, près du cimetière : des femmes les pieds dans l'eau, les mains dans l'herbe, des buffles labourant et des tombes flottantes. L'émeraude épouse le cyan, le travail s'adosse au repos, les bêtes soutiennent les hommes, le soleil tape contre l'eau et le vent contre la terre. Une harmonie maintient l'instant en suspens."

Mais un jour, les couleurs se mélangent, le paradis se brouille pour finir par s'effacer. Poussière soulevée par les roues d'une voiture en partance vers un pays inconnu aux coutumes bien différentes. Les visages s'estompent, les voix se déforment, les bruits s'éloignent, les larmes coulent sur les visages gravant encore plus profondément les souvenirs. On essaie alors de s'adapter, de s'assimiler dans cette France si lointaine. Mais à force d'essayer, on se perd, on s'oublie, on se nie, on se renie.

"Dans ce pays nouveau, dont la petite avait la nationalité, la mère était moins apte à communiquer que sa fille, parlait moins bien la langue. Elle était plus étrangère. La rupture était consommée. La petite ne voulait plus parler vietnamien non plus. Elle avait honte, face aux élèves français, d'être une asiatique. Elle embrassa la culture de son père, se reposa sur cette nationalité qu'on lui désignait. L'aimait-elle davantage? Non, mais elle se fondait dans cette masse différente de son passé, de son amour […] Elles devinrent étrangères. […] Soudain, une femme devenait étrangère dans un pays: soudain, une femme devenait étrangère au coeur de son enfant."

Perdue dans ce nouveau pays, éloignée de sa mère patrie, coupée de ses racines, étrangère à sa propre mère, la jeune fille entre en guerre. Elle se meurt. L'amour dont elle s'était nourrie, gorgée depuis sa plus tendre enfance s'évapore, s'épuise, se tarit. Désormais, elle veut disparaître. Disparaître pour ne plus ressentir cette implacable morsure du manque d'amour.

"Elle gisait, inconsciente, sur ce lit blanc, à attendre qu'on lui serve un peu d'amour en perfusion."

Pour revivre, il faut renaître. Et pour renaître, il faut revenir sur cette terre natale où sont enfouis les os des filles. Il faut comprendre pourquoi l'insouciance de cette petite fille s'est fracassée sur le bitume français.

"Si je reviens au Vietnam aujourd'hui, à vingt-trois ans, c'est bien pour en finir doucement avec ce visage de mes seize ans. J'écris et voyage pour lui répondre. […] Pourquoi est-ce que tu t'es cassé la gueule, petite fille?"

De ses fractures d'enfant, Line Papin en a fait une force. Carapace à terre, la résilience a pu commencer. Les os des filles est un livre fort, puissant. Douceur teintée d'âpreté, amour teinté de rancoeur, nostalgie teintée de colère, éteincelle de vie teintée de mort.

Un vrai coup de coeur pour ce livre au style parfaitement maîtrisé.

Paru aux édition Stock en 2019 et sélectionné pour le prix des lecteurs 2020 du Livre de Poche, catégorie littérature
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