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Critique de colka


Livre bouleversant, Les os des filles de Line Papin, le doit avant à la plume de son auteure. Les thèmes évoqués dans ce roman autobiographique n'ont rien d'original en eux-mêmes. Il y est question de vie et de mort, de naissance et de renaissance, des souffrances de l'exil et des retrouvailles avec le pays de ses ancêtres. Mais Line Papin a su éviter dans son récit tous les écueils du genre : pathos débordant et/ou larmoyant, confession trop intime et fusionnelle pour que la lectrice ou le lecteur ne se sente pas à un moment donné un peu voyeuse ou voyeur.
Miracle d'une écriture qui joue merveilleusement de la distance prise avec les personnages. le je de la narratrice laisse souvent la place à la "petite fille" heureuse qu'elle était dans une ville d'Hanoï vibrante de vie et d'odeurs et où elle est née sous le matricule 396 dans une maternité crasseuse le 30 décembre 1995. Même jeu de distanciation dans le dédoublement qu'elle opère lorsqu'elle entre en dialogue avec la "petite fille" , en recourant à un "tu" jamais intrusif mais qui questionne , qui cherche à comprendre et à démêler les fils de sa propre histoire. Sa famille est évoquée de façon encore plus distanciée, comme dans un théâtre d'ombres. Son père est "le jeune français" tombé amoureux d'une jeune Vietnamienne et sa mère sera "la seconde soeur H" c'est-à dire la deuxième fille de Ba, sa grande mère tant aimée. C'est le seul personnage familial qui émerge de ce théâtre d'ombres et cette femme rescapée des deux guerres qui ont laissé le Vietnam exsangue, est présentée comme exceptionnelle. Non moins exceptionnels seront les liens qui vont se tisser entre l'aïeule et la petite fille. Relation complexe puisque Ba va s'identifier à la narratrice en faisant sienne sa date de naissance et vivre par procuration trois maternités qui n'avaient pu s'assumer correctement en raison des guerres successives. Figure mythique presque, cette grand-mère traverse tout le roman et l'attachement de la narratrice pour cette femme est si fort qu'elle évoque à deux reprises son enterrement dans des passages empreints de nostalgie et d'émotion.
Le deuxième point fort du roman est en effet de jouer avec les tonalités et les émotions. Très factuelle, lorsqu'elle évoque l'histoire de sa famille , l'auteure sait aussi nous faire vibrer lorsqu'elle fait part de son amour pour Hanoï ou sa détestation de la France lorsqu'elle est obligée de quitter sa ville tant aimée à dix ans. Les moments les plus poignants et les plus forts vont être ceux où elle évoque sa chute dans l'anorexie, après son arrivée en France. Ce qui aurait pu être scabreux est sublimé par la grâce de l'écriture comme le passage où elle crie son sentiment d'abandon et son désespoir dans une question qu'elle pose à sa mère en l'appelant, pour la seule et unique fois dans le roman, "maman". Cette phrase claque comme le cri muet du personnage dans le tableau de Munch. Même force, même intensité et violence distanciée lorsqu'elle évoque son entrée dans l'anorexie qu'elle associe aux guerres successives qu'a vécues sa grand-mère. Autre scène tout aussi dramatique et intense celle où penchée sur la cuvette des "chiottes" elle va faire choix de la vie. Ici c'est un humour corrosif qui prend la relève de la métaphore de la guerre. Humour noir dont elle ne se départit pas non plus pour évoquer la souffrance et l'incompréhension que va susciter sa maladie dans son milieu familial. Choix qui peut déplaire mais dans lequel j'ai surtout vu la volonté de ne pas affronter de plein fouet une douleur encore trop vive.
Si j'ai beaucoup aimé ce roman, je crois que c'est avant tout parce que Line Papin a réussi le tour de force de se raconter en même temps qu'elle a ouvert le champ vers d'autres souffrances et d'autres renaissances possibles.
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