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Critique de elisecorbani


J'ai entendu parler pour la première fois d'Emilia Pardo Bazan il y a bien des années, alors que l'une de mes amies de fac s'était vu proposer un sujet de recherche en littérature comparée sur cette autrice.

Bien peu connue en France, à l'instar de son amant Benito Perez Galdos qui a été évoqué récemment dans la presse à l'occasion d'une traduction inédite, on peine à imaginer la stature de cette femme de lettres en Espagne où son oeuvre prolifique est très célèbre et où elle fut annoblie en reconnaissance de son talent.

Anticonformiste dès son enfance, au coeur de la vie littéraire de son temps, elle épousa les débats de son époque autour du statut du roman, incarnés en France par les querelles sur le naturalisme, auquel elle prit part en introduisant la question en Espagne.

Au hasard de mes trouvailles de bibliophile, j'ai débusqué et enfin lu, 15 ans après, Los pazos de Ulloa, cinquième roman publié en 1886 par Emilia Pardo Bazan. Une lecture marquante et une belle découverte de cette autrice que je compte approfondir.

Pour résumer mon impression générale, je parlerais d'un roman typiquement naturaliste, d'une sensibilité plus fine que celle de Zola, avec une composante profondément spirituelle dans son approche de la morale.
Effectivement le héros que l'autrice a choisi est un jeune prêtre fraîchement émoulu de son séminaire, envoyé parmi les chiens et les loups d'une contrée reculée de Galice.

À travers ce personnage de Julian, Emilia Pardo Bazan peut développer les aspects classiques du roman naturaliste : ce narrateur venu de l'extérieur, plongé dans un contexte où il n'a aucun repère, lui permet de souligner la violence et la dislocation des rapports sociaux et familiaux. le jeune chapelain élevé dans la grande ville de Compostelle découvre également la sociologie et les rites propres à la campagne: chasse, danses, banquets, divinations, qui ressemblent bien souvent à une persistance du paganisme.

Les tourments de Julian, ses tentatives de moraliser et sauver des personnages en perdition, ne vont faire que jeter de l'huile sur le feu de l'intrigue. Et là réside à mon sens la dimension spirituelle de ce naturalisme bazanien: dans l'observation de la foi dans son expression désincarnée, mystique, sacrificielle, foi qui est autant une sorte de calmant pour l'âme que ce qui sépare les personnages de Nucha et de Julian du réel.
La dévotion catholique devient sous la plume de l'autrice un nouvel aspect du déterminisme social qui ampute les personnages de leur capacité à mener leur vie, leur permet de supporter le réel tout en les empêchant de l'affronter.

Rappelant Zola dans ses descriptions, et l'utilisation parfois assez convenue et didactiques de symboles, le style de l'autrice démontre cependant une grande sensibilité que je n'ai pas ressentie chez l'illustre père des Rougon-Macquart, quand elle évoque les personnages d'enfants notamment, ou les sentiments maternels.

L'humour n'est pas absent non plus, spécialement dans les passages traitant des visites aux nobles du secteur ou encore des élections truquées. La narration alterne de façon étonnante entre épisodes psychologiques, ethnologiques, gothiques et proprement dramatiques : la scène du bain des enfants constitue à ce titre un paroxysme, très réussi.

Que dire enfin du dénouement et du poignant chapitre final ? Il faut le lire et j'espère que vous en aurez désormais envie.
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