Les yeux, les oreilles
La montagne est une montagne
Le fleuve est un fleuve
La montagne visible n’est pas vue
Le fleuve audible n’est pas entendu
Choses vues pures ombres
Choses entendues, simples échos
D’aveugles yeux
Voir ce qui est invisible au-delà de la montagne
D’oreilles sourdes
Écouter ce qui est inaudible dans l’eau du fleuve
La montagne n’est pas une montagne
Le fleuve n’est pas un fleuve
Le village où s’aperçoit une église
La campagne où résonne une cloche
Quelque part infiniment loin
Quelque part immensément profonds
Le visible
L’audible
/traduit du coréen par Benjamin Joinau,
61. Destination
Quand sera-t-il possible de s'en rapprocher?
Trop loin
Ou alors
Vide infini
Il faut vivre, il faut vivre jusqu'au bout, jusqu'à l'éternité, jusqu'à la fin du monde !
Terre étrangère
Moi j’habite la maison d’autrui
Je porte les habits d’un autre
Je parle une autre langue
Je pense la pensée d’autrui
Je ressens les sensations d’un autre
Je suis sur la terre d’autrui
Je suis la vie d’un autre
/traduit du coréen par Benjamin Joinau,
Tombent des flocons de mots
Les pensées non abouties
Devenues poussières
Même ordonnées même assemblées
Tombent les flocons de mots
Le cœur dispersé s’écroule
L’amour non réalisé
Devenu larme
Comme des flocons de neige tombe le sens des hommes
Et on a beau chercher, patienter
Le sens de l’existence
Au creux de la main fond
/traduit du coréen par Benjamin Joinau,
2.Champs sous la neige
Partout où se pose le regard
De la neige
Une page blanche
Attend que s'écrive un poème
Sublime
Qu'écrire ?
Le vent, le soleil,
La mer et les étoiles
Poème écrit
De nuages
Au-delà des mots
La cicatrice
Une balle visée par son semblable
Rouillant dans la poitrine du soldat
Sur la colline où tous sont morts
Tombe une neige fondue
Ivresse d’une liqueur forte
Les toits de la ville
Les fils de fer barbelés flottant au vent
Une cicatrice comme ces fils
Chacune de ces traces
Comme d’une sentinelle la pointe du couteau
Tombe la rancœur
Quand le ciel se fendra
Verrons-nous se lever des étoiles gracieuses comme des fleurs ?
Jusqu’à présent
La cicatrice souillée de sang
Vise un ciel sombre
Ouvert comme une gueule
Et dans mon cœur aussi maintenant
Tombe une pluie de larmes
(poème écrit pendant la guerre de Corée)
/traduit du coréen par Benjamin Joinau,