Celle qui devint le soleil

La fille savait qu’il avait raison. Il était plus vieux qu’elle et connaissait plus de choses. Mais lorsqu’elle tentait de se représenter l’avenir, elle n’y arrivait pas. Il n’y avait rien, dans son imagination, pour remplacer ces longs jours de famine, immuables et indifférenciés.

Le plus grand talent ne revient pas à gagner cent victoires en cent batailles, mais à triompher de son ennemi sans le combattre

-Manifestement, être aussi laid qu'un cafard vous en confère aussi la résilience. Mais il est des choses dont personne ne revient. Voulez-vous que nous les essayions une à une ?

Les larmes de Ma firent naître de nouveau cette étrange douleur sourde dans sa poitrine. Zhu les essuya du dos de la main. Puis, avec une précaution infinie, elle cueillit la joue de la jeune fille dans sa paume, se pencha et l'embrassa. Leurs bouches s'attardèrent l'une contre l'autre, doucement ; et cet instant de tiédeur fit naître quelque chose d'infiniment tendre et précieux, et aussi fragile qu'une aile de papillon. Cela ne ressemblait pas aux passions déchaînées, presque violentes que décrivait Xu Da. Il semblait plutôt s'agir d'une chose nouvelle, une chose qu'elles avaient inventées elles-mêmes ; qui n'existait que pour elles, dans la pénombre de leur petite chambre, et seulement le temps d'un baiser.

Alors, j'ai entendu dire que vous alliez vous marier, après Jiankiang. J'avoue être tenté de vous présenter mes condoléances.

Apparemment, il était aussi inutile d'essayer de les avertir que de souhaiter que sa vie change de trajectoire. Ma leva les yeux vers la boîte bleue du Ciel, encadrée par les quatre ailes de bois sombre du manoir des Guo, et tenta de se persuader qu'elle s'inquiétait pour rien. Mais elle ne pouvait chasser l'impression tenace qu'ils se promenaient tous sur une longue route, en pleine nuit ; que les autres bavardaient gaiement ; et que, sans savoir pourquoi, elle était la seule à voir les yeux affamés qui les observaient depuis les ténèbres, attendant leur heure.

-Peu importe. (Guo le Petit jeta le linge de toilette dans la bassine, éclaboussant la robe de Ma.) Cesse de donner ton avis sur des choses qui ne te concernent pas. Essaie de comprendre où est ta place et restes-y.
Il lui lança un regard plein de rancoeur, comme si Ma était une source d'irritation dont il avait hâte d'être débarrassé, puis attrapa ses vêtements et s'en alla d'un pas furieux.

La jalousie avait ceci de particulier qu'on ne pouvait l'éprouver que pour ses semblables. Ouyang ne pouvait être jaloux d'Esen, pas plus qu'il ne pouvait l'être du soleil. Mais Ouyang et le seigneur Wang, eux, se ressemblaient. Ils restèrent un moment immobiles, comme pour saluer tristement cette vérité, sentant leur ressemblance résonner dans l'espace qui les séparait. L'un, méprisé pour n'être pas un homme ; et l'autre, parce qu'il ne se comportait pas comme tel.

-Tu es vraiment un imbécile au cœur confit dans le lard, si tu espères prendre une cité fortifiée à l'aide de tes prières. Pourquoi ne pas t'enfuir, et laisser la guerre aux gens qui ont appris à le faire ?

This is my life now, and I'll do whatever it takes to keep it.