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Critique de Lucilou


Je faisais partie des lectrices assidues de "Madmoizelle" à l'époque où Jack Parker y officiait encore et elle comptait parmi mes rédactrices favorites. J'appréciais, outre sa plume qui mêlait un humour jubilatoire à l'indignation, sa liberté de ton, sa liberté tout court. A grands coups d'articles puissamment engagés, elle y défendait un féminisme combattant et surtout lumineux, tirait à boulets rouges sur les tabous et nous enseignait, à nous lectrices qu'il faudrait sans doute se battre et qu'il faudrait être fières aussi, dégommait les clichés et les idées reçues, déboulonnait le "sois belle et tais-toi!", nous poussait -enfin- à nous questionner sur la société, la place qu'elle accorde aux femmes et sur la féminité -vaste concept!-
Et des questions, des idées reçus et des tabous sur les règles il y en a des centaines.
Piochons au hasard: pourquoi faire des menstruations un secret quand elles touchent plus ou moins la moitié de la population mondiale? Pourquoi devrions-nous en avoir honte et nous sentir dégouté d'en parler? Pourquoi ces mythes dégradants à bases de sang et de mayonnaise? Pourquoi la culpabilité et ce produit bleu et trop limpide pour être honnête dans les publicités vantant l'efficacité des serviettes hygiéniques? Pourquoi la gêne?
J'ai beau m'estimer assez éclairée sur le sujet, il m'est arrivé à moi aussi, plus jeune, de refuser une sortie parce que j'avais peur que "ça se voit" et j'ai été mortifiée plus que de raison une ou deux fois à cause de LA tâche. Moi aussi, j'ai parfois ajouté à mes courses un paquet de biscuits, une boîte de thon et un tube de dentifrice dont je n'avais que faire pour noyer ma boîte de tampons, la dissimuler aux yeux du caissier. Absurde, hein? Il n'empêche... Et pourtant j'ai été élevée par des parents féministes avec qui je pouvais parler de tout.
Oui mais les règles...
Et le temps passe, mais les tabous restent.
C'est sans doute pour ça que Jack Parker s'est lancé dans la rédaction de "Le grand livre des règles", essai ambitieux et résolument engagé qui tend à présenter, à expliquer le fameux "mystère" le plus clairement possible, le plus précisément aussi afin de briser le tabou et son cortège d'absurdités.
C'est plutôt réussi et l'ouvrage est le livre que j'aurai bien voulu avoir entre les mains à l'époque de mon adolescence et qu'il faudrait glisser dans toutes celles des adolescentes et des adolescents (oui, j'insiste) d'aujourd'hui voire dans celles des femmes et des hommes (j'insiste encore) tant certaines aberrations perdurent encore et parce qu'il a l'extrême bon gout de remettre les choses en place: non les règles ne sont ni sales ni honteuses, non avoir mal n'est pas une fatalité, oui le dégout et l'ignorance qui les accompagnent bien souvent sont le fruit de superstitions, de croyances même, qui remontent à des siècles (et du Coran au Lévitique, d'Aristote à Pline l'Ancien -brave homme!-, il n'y en avait pas un pour rattraper les autres), non il n'y a pas qu'une seule façon de vivre ses menstruations...
Inutile? Inintéressant? Choquant? Et bien, non, rien de tout cela parce qu'aujourd'hui encore trop de filles ne savent pas vraiment ce qui se passe dans leurs corps, parce que trop subissent encore dans certaines cultures des brimades parce qu'elles ont leurs règles, parce que le congé menstruel est une exception, parce que des élèves ratent l'école par honte ou parce qu'elles n'ont pas les moyens de s'acheter des protections, parce que certains croient encore qu'une femme qui a ses règles fait tourner la mayonnaise et parce que trop souvent encore une femme en colère s'entend demander "tu as tes règles ou quoi?", parce qu'il n'y a rien de sale ni de honteux à connaître le corps humain, parce que le tabou construit autour de ces dernières n'est rien qu'une construction sociale, sociétale qui a justifié dans un monde patriarcal trop d'inégalités, parce que voir une élève moquée et huée parce qu'elle a tâché son pantalon me révolte, surtout quand elle part en pleurant.
Jack Parker, parfaitement consciente des enjeux de sa recherche et de leurs importance a organisé son essaie par thème. Elle commence par l'aspect biologique et physiologique des règles, n'hésitant pas à évoquer au passage les différents types de protections existants, les astuces pour soulager la douleur et la question de la sexualité. Cette partie qui est celle qui m'a le moins intéressée est pourtant essentielle et particulièrement pédagogique. L'auteure poursuit ensuite en évoquant les règles à travers l'histoire et dans la société, versant de l'ouvrage qui m'a le plus passionnée grâce à son approche anthropologique fouillée. Pour ce faire, elle n'hésite pas à convoquer les auteurs antiques et les textes sacrés, à ausculter et à remonter le fil des superstitions, à s'affranchir du regard de l'occident pour jeter son regard au-delà et à proposer ses conclusions quant à la naissance du tabou et à sa survivance, à s'offrir un petit détour du côté de la pop culture, du cinéma et de l'art contemporain. Inattendu mais convaincant!
"Le grand mystère des règles" n'est peut-être pas exhaustif (et j'aurais souhaité une seconde partie plus développée et approfondie, je l'avoue) mais il est complet, nécessaire et -ce qui ne gâche rien- ludique, drôle, fouillé et intelligent.
Il était temps, n'en déplaise à Pline l'Ancien.
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