Acteur, il n'existait après tout que par procuration, par personnages interposés. C'était un imposteur. Il ne vivait rien, ne créait rien.
Elle était entrée en théâtre comme une mystique entre en contemplation, s'offrant sans rien garder pour elle.
Celui qui domine pas sa trouille, il est foutu. La sorcellerie, c'est la peur. Ça commence par là, mon gars. Si tu flanques la pétoche à l'autre, t'as le dessus. Le temps qu'il réagisse, il est coincé. C'est pour ça qu'il faut se préparer à tout, pour jamais, toi, avoir peur. Jamais.
Emile était convaincu que depuis des millénaires le théâtre était un épicentre où se conjugaient la mort et la vie. Si le réel et la fiction s'y confondaient si bien, si la monstruosité et l'innocence n'y faisaient qu'un, sans que les frontières en soient décelables, pourquoi n'en serait-il pas de même du vivant et de l'enfui ? La fin, la chute, l'enfer pourraient être assurément domptés dans ce prodigieux maelström si on savait bien l'explorer, s'emballait maintenant Emile. Pourquoi n'avait-on jamais tenté de se servir des théâtres comme des laboratoires où observer, asservir et vaincre enfin la mort ? et pour faire de l'énergie de la scène un authentique tremplin vers l'infini ? Les comédiens et leurs personnages n'y étaient-ils pas morts et ressuscités des milliards de fois...
Rien ne mourait au théâtre. Les morts sans fin y triomphaient des vivants. Avant que les vivants sans fin n'y triomphent des morts. Tout était confondu. Comme nulle part ailleurs.
Il voulait en même temps lui suggérer, d'âme à âme, avec la rapidité de l'éclair, que le théâtre sans fin ressuscitait les morts. Qu'il était impossible d'y mourir vraiment. Que la scène était un lieu d'apparitions-disparitions toujours renaissantes. Un lieu d'éternité au monde. Il fallait juste savoir s'y abandonner, s'y laisser couler.