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Critique de Fabinou7


“ L'homme est comme une bête : il voudrait ne rien faire.” N'avez-vous jamais voulu passer la journée au bord de l'eau, à rêver à la rencontre des corps, ou déambuler dans votre moindre appareil, ivre dans les rues du village sous la jaune clarté de la lune ?

“L'essence de la poésie c'est l'image”. "Travailler Fatigue" restitue la sensualité des vies paysannes et ouvrières. le jeune Cesare écrit sur les siens mais aussi sur sa terre, ces vies sont vallonnées comme les Langhes, d'Asti à Turin. Les vignes chaudes du Piémont, une fois vendangées, donnent des vers au nez fin et à la robe singulière. 

« la terre toute entière est couverte de plantes qui souffrent
Sous la lumière, sans que même on entende un soupir »

« Il n'est chose plus amère que l'aube d'un jour où rien n'arrivera. » Il semble que les personnages de Pavese soient, pareils aux campagnes, figés dans l'éternité. L'attente, l'errance, la fatigue « d'une vie que nous ne vivons pas », la solitude, l'injustice, le travail, souvent misérable, et l'amertume se succèdent dans un déterminisme lucide et résigné, ne s'estompant brièvement que dans le son assourdissant d'une clarinette au fond d'une cave de jazz. Pavese allume “des milliers de réverbères éclatants de lumière sur des iniquités ». 

« au moins pouvoir partir
crever de faim librement, dire non
à une vie qui utilise l'amour et la pitié
la famille ou le lopin de terre pour nous lier les mains »

Pourtant parfois, ces êtres délaissés, en manque de tendresse, voudraient suivre le courant du Pô et quitter leur monotonie, “traverser une rue pour s'enfuir de chez soi”. Il y a comme un avatar de liberté qu'on retrouve lorsqu'on s'éloigne du village :

« ici sur la hauteur, la colline n'est plus cultivée.
il y a les fougères, les roches dénudées et la stérilité.
le travail ne sert à rien ici. »

“A chaque poésie, un récit”. le poète italien croque des morceaux de quotidien et nous révèle l'insoupçonnable saveur de ces existences difficiles, de ces « mains calleuses à force de cogner au maillet, de manier le rabot, de s'esquinter la vie », de ces amours fugaces dans la chaleur de la nuit et ces ivresses désespérées et solidaires.
Mais il ne fait pas qu'écrire des poèmes, il “raconte des vers”. C'est en ce sens qu'il est novateur dans l'univers poétique d'entre deux guerre, l'incroyable inédit de sa plume, de sa narration poétique, de ses vers libérés, nous parvient même à travers la traduction française. 

« L'enfant a sa manière de quitter la maison
si bien que ceux qui restent se sentent inutiles. »

Les « Poésies variées » qui ferment le recueil sont tout aussi savoureuses, mais je ne m'étendrai pas sur « la mort viendra et elle aura tes yeux ». Je n'ai pas reconnu Pavese, son style accrocheur, l'ancrage de ses récits dans la terre. Ces quelques poèmes (trop) métaphoriques et cafardeux sont écrits quelques mois avant le suicide de leur auteur.
S'il a pu trouver une inspiration distincte de celle qui présida à « Lavorare Stanca» ainsi qu'il s'en inquiétait lui-même dans son journal quelques années auparavant, elle reste à mon goût bien moins puissante et singulière.

La figure de la femme, tantôt méprisée, prise en pitié est omniprésente chez le poète - dont la vie amoureuse resta insatisfaisante, entre désirs refoulés, passions secrètes et impuissance chronique - et parfois se glisse sous les traits d'une narratrice prostituée « qu'importe leurs caresses, je sais me caresser toute seule ».

« Turin serait si beau – si on pouvait en jouir
Si on pouvait souffler »

La “canzoniere” du poète piémontais narre la caresse de la nuit, la sueur du labeur, l'haleine d'une étreinte, la chaleur d'une amitié, l'odeur d'une poignée de terre fraîche dans la paume de la main, l'envie d'ailleurs, l'envie d'ici, le tourment du vent du rêve venu des collines…Cesare Pavese nous enseigne « le métier de vivre ». 
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