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Critique de Cancie


Cancie
06 décembre 2021
Une belle journée de printemps se termine. En voiture avec sa mère, tout est soleil pour Abi, et même si Thomas a préféré s'éloigner d'elle, le monde est une caresse sur son coeur, elle va intégrer l'école de ses rêves pour devenir vétérinaire. Soudain un choc, le crissement suraigu des freins, le fracas de la tôle qui se plie, et « la douleur dans son bras, inhumaine… elle n'arrive plus à respirer, son bras, elle ne comprend pas ce qui se passe dans son bras mais c'est monstrueux. »
« le monde s'est assombri. Il est devenu noir. » C'était le 2 mai.
Abi sera amputé du bras droit, il ne reste qu'un moignon ; moignon fait partie des mots maudits comme manchot, amputé, handicapé, qu'Abi exècre, non seulement pour leur signification mais aussi pour leur sonorité. Pour elle moignon sonne comme rognon. Sa prothèse myoélectrique, si elle remplit sa manche n'allège guère ses souffrances.
Ses parents Elsa et Martin font tout ce qui est humainement possible de faire pour redonner goût à la vie à leur fille. Durant son hospitalisation, ils ont rapidement déménagé pour que leur fille n'ait pas à subir de commentaires de la part des voisins et qu'elle n'ait pas à voir dans leurs yeux leur pitié. Sa mère a réussi à faire aménager ses horaires de travail pour pouvoir la conduire aux rendez-vous médicaux, faire des courses… car Abi ne supporte pas de monter dans un taxi, un bus, le métro, dans une autre voiture que la sienne. Son père Martin est également très présent essayant avec son humour d'alléger l'atmosphère, tout comme la tante Coline, véritable boute-en-train. Pour ce qui est de Millie, sa soeur cadette, ses sentiments sont partagés entre la douleur qu'elle éprouve en voyant sa soeur souffrir et la jalousie vis-à-vis de celle qui, maintenant, retient l'intérêt de tous.
Abi a, quant à elle, coupé tous les ponts avec ses anciens camarades de lycée, ne voulant surtout pas voir leur gêne ou croiser leurs regards apitoyés.
C'est un véritable repli sur elle-même qu'elle effectue, se sentant dépendante dans chacun de ses gestes, que ce soit pour préparer ses tartines, pour prendre sa douche, s'habiller ou tout simplement pour lire et tenir les pages de son livre, les médicaments compliquant encore sa lecture. Plus question de devenir vétérinaire et pour elle aucun avenir ne se présente à ses yeux.
Une première diversion va s'avérer décisive : la réception d'un colis sans le nom de l'expéditeur ni lettre accompagnatrice. Il s'agit du livre de Blaise Cendrars « La main coupée », auteur dont elle n'a jamais rien lu. En cherchant sa biographie, elle apprend que ce poète, écrivain, journaliste, soldat au front, est blessé en 1915, amputé du bras droit, réapprend à écrire de la main gauche et devient Blaise Cendrars. Blaise est son frère et la comprendra !
Deux autres livres du même auteur lui arrivent et ses lectures vont lentement faire leur oeuvre de résurrection, de même que Yoru, ce chat que lui a offert sa tante, et la visite d'Aurèle, cet ancien ami qu'elle a connu à l'école primaire et au collège et qui voue une véritable passion pour les oiseaux. Grâce à ce dernier notamment, les choses vont peu à peu changer et l'espoir renaître pour Abi, avec évidemment des hauts et des bas.
Magnifique bouquin, sans concession, Un si petit oiseau, sans jamais sombrer dans le pathos, montre les immenses difficultés physiques mais peut-être encore plus psychologiques que peut engendrer l'amputation d'un membre. Difficultés qui peuvent rapidement devenir insurmontables pour une personne jeune à l'orée de sa vie et pour qui l'avenir s'ouvrait sur plein de promesses.
Outre, le calvaire que subit cette jeune fille avec cette amputation, ce sont les regards des autres, la répugnance ou la pitié à sa vue et les conséquences qui en découlent que l'écrivaine a particulièrement bien décortiqués. Elle aborde avec justesse et finesse les dommages collatéraux engendrés par cet accident. Les parents, bien évidemment, sont les premiers atteints. Même s'ils essaient de montrer un visage serein et font même preuve d'humour, comme le père, devant leur fille, c'est bien évidemment pour la soutenir et lui redonner espoir en la vie mais aussi pour endiguer leur énorme souffrance. Quant à Millie, elle se sent délaissée au profit de sa soeur handicapée, devenue le centre, vers qui semblent aller toutes les marques d'affection et d'intérêt, et la jalousie et le rejet prennent le pas sur l'amour qu'elle porte à sa soeur. C'est donc toute la sphère familiale qui est en péril.
Abi est forte et a une forte personnalité, mais elle est cependant très vite déstabilisée par des regards appuyés sur son bras et cette absence de bras remet en cause chez elle toute sa féminité.
Il lui faudra bien la conjugaison de l'amour des livres, la présence de son petit chat, l'amour de la nature, des animaux, et particulièrement des oiseaux, sans oublier le soutien sans failles de ses parents et de cette tante extraordinaire pour retrouver une forme de confiance dans la beauté du monde et de la vie, et enfin « revivre ».
L'auteure a su magnifier sublimement, avec une sensibilité extrême, cette symbiose entre Abi et la nature. Les descriptions sont de toute beauté.
Un si petit oiseau, métaphore pour désigner Abi et son envol, a été pour moi un véritable coup de foudre et je suis tombée immédiatement sous le charme des personnages. J'ai aimé cette écriture simple, énergique et si juste et me suis régalée à la lecture de ce récit d'une très grande humanité.
C'est un roman jeunesse qui génère d'intenses émotions, et, qui, même aux moments les plus sombres est empreint de luminosité. L'humour décapant dont fait preuve l'auteure participe grandement à cette réussite. Un livre aussi sur l'éveil à l'amour qui ne peut qu'inciter à aller à la rencontre de la vie.
En lisant dans l'appendice que Marie Pavlenko a puisé sa source dans l'accident survenu à sa mère en 2015, le lecteur comprend pourquoi, le sujet est si bien abordé et les sentiments et ressentis si bien restitués.
Marie Pavlenko est une auteure que m'avait conseillée ma petite fille Jeanne. J'avais donc lu Et le désert disparaîtra et l'avais beaucoup apprécié. M'ayant ensuite dit que celui qu'elle préférait était Un si petit oiseau, je ne pouvais que le lire. Quelle découverte ! Je ne peux que lui adresser mille remerciements tant j'ai adoré cette lecture !
Nous n'avons, semble-t-il pas été les seules à tomber sous le charme, puisque Un si petit oiseau a été salué par le Prix Babelio Jeune adulte 2019 et le Prix 15/17 à la Foire du livre de Brive.


Lien : https://notre-jardin-des-liv..
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