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Critique de Darkcook


On continue avec David Peace, le disciple british d'Ellroy, en dix fois plus trash, lubrique et noir, sans l'espoir et la rédemption. Ce deuxième tome de sa tétralogie sur le Yorkshire rentre enfin dans le vif du sujet, le fameux Éventreur, et promet un roman noir beaucoup plus ellroyien, où les femmes sont omniprésentes à la fois dans le texte, et dans les préoccupations des personnages. Là-dessus, on est gâtés!! Scènes sexuelles à gogo, ultra bien écrites (j'ai mes critères :p) et les deux protagonistes, comme Edward Dunford de 1974, sont complètement dérangés, jusqu'aux hallucinations et rêves déjantés, semi-prémonitoires et énigmatiques. L'exercice de stream-of-consciousness sauce polar déjà tenté par Peace, avec son style tellement sec, est ici merveilleusement mieux utilisé. On a droit à une pléthore de jeux rythmiques, de répétitions qui vous rentrent dans la tête comme du Rage Against The Machine, des mélopées littéraires jouant sur l'anaphore, la cataphore, les reprises... Avec en bonus, cette fois, ponctuellement, l'excès inverse des phrases ultra brèves chères à Peace, des passages joyciens, où la phrase court sur une page, voire plus, dans la frénésie de l'esprit!! Ces moments-là, en dehors du tout dernier, trop bordélique et inégal, sont exceptionnels, et là, les amateurs de littérature se régalent. Bref, vous m'avez compris, Peace a énormément progressé sur le plan stylistique, il garde son identité, mais c'est loin d'être aussi aride que 1974. Et comme Ellroy, il se paye le luxe d'avoir un traducteur français génial, Daniel Lemoine, qui s'est creusé la tête pour nous rendre tout ça!! En un mot comme en cent, avec ce livre, Peace est vraiment devenu un écrivain.

J'ai mentionné plus haut les protagonistes, alors parlons-en : encore une fois, tel Ellroy, Peace a ses personnages récurrents au cours d'une même saga. Ainsi, on retrouve le flic Bob Fraser, qui avait aidé Dunford précédemment, et le journaliste Jack Whitehead, insupportable Gontran Bonheur bellâtre à qui tout réussissait. Sauf qu'évidemment, trois ans et un tome après, plus rien à voir : le premier est tiraillé entre sa vie de famille et son amour passionnel pour la prostituée Janice (rappelle un certain Lloyd Hopkins hein), le second est devenu une loque alcoolique hantée par les hallucinations d'une obscure défunte. Bien plus passionnants que Dunford, ils nous font retrouver avec plaisir pas mal de références à 1974 même si l'on est cette fois face à une autre menace, et voir à quel point ils ont été transformés est aussi intéressant. L'intrigue policière de 1977 possède étonnamment quelques ramifications avec la précédente, et l'on comprend alors que la tétralogie sera une grande affaire sur neuf ans et quatre opus, au contraire d'Ellroy où tout était plus distinct.

On dévore le roman, Peace ménage un suspense de fou, et une ambiance horrifique, jusqu'aux 3/4. Le destin de Fraser et Whitehead sombre, comme il se doit, mention spéciale pour celui de Fraser, tout ce qui lui arrive tombe comme un véritable couperet pour le lecteur. On a beau cette fois être déjà au courant des pourritures qui sévissent dans les arcanes grâce à la fin du premier tome, on se fait avoir comme un Bourvil quand les ennuis (ou l'art de l'euphémisme) finissent par s'abattre!

Il faut aussi applaudir l'écriture des scènes d'interrogatoire déjà plébiscitées dans 1974. Peace a vraiment l'art de les rendre terrifiantes, sadiques, avec des techniques de lavages de cerveau et d'humiliation qui vous laissent bouche-bée. Les inserts du show radiophonique en début de chapitre étaient aussi savoureux de cynisme, et de témoignage de la dure réalité qui pesait sur ce pays et cette région, à cette époque.

Malgré tout cela, pourquoi juste 4 étoiles, me direz-vous? Parce que quand même, Peace reste le disciple, on est encore loin du grandiose d'Ellroy dans le Quatuor de L.A., j'ai eu l'impression d'être à mi-chemin entre les Lloyd Hopkins et la tétralogie mythique d'Ellroy. Et puis la fin m'a déçu, tellement tout le reste était super, du coup, ça influe sur la vision globale. Peace ne fait que délayer le dénouement du destin de Fraser, n'a pas su entrevoir le bon moment pour la porte de sortie grandiloquente, ce que ne rate jamais son modèle. La dernière image que l'on en garde n'est ainsi pas à la hauteur de toute la montée en puissance du roman. De même, comme dit plus haut, l'ultime déroulé joycien de l'esprit de Whitehead est un trop grand bazar, par moments réussi, à d'autres, incompréhensible (même si c'est voulu, ça reste énervant). Enfin, les réponses apportées par ce tome sur le mystère de l'Éventreur restent trop ambigües, tout demeure trop en suspens. Certes, on se doute qu'on en saura plus dans les deux prochains, que cette tétralogie est vraiment une seule histoire en 4 parties (once again, contrairement à celle d'Ellroy), mais on reste du coup frustré, sur notre faim. Le roman policier, par essence, est un exercice refermé sur lui-même, même s'il fait partie d'un cycle. C'est donc un comble de le voir se finir en points de suspension et en points d'interrogation, comme une promesse non tenue, qu'importe le retardement. Les outils utilisés par le révérend, par contre, c'est une super idée. Et le coup du canapé au milieu du champ, quelle horrible scène, pas près de l'oublier... Peace a tout ce génie ellroyien en lui, mais laisser le mystère sur une énigme ou un perso, y a rien qui tape plus sur les nerfs dans ce genre littéraire!

Je dévorerai les suites bientôt!! Bien apprécié les mentions de Peter Hunter, prochain perso principal, qui accentuent encore le fil qui semble maintenir la saga et sa cohésion... Reste que je me pose quand même des questions... À force de lire du policier, et surtout, des classiques, suis-je devenu plus exigeant et ronchon qu'avant? Ah la la...
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