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Critique de Darkcook


Et je referme ce chef d'oeuvre sur "Total Eclipse of the Heart" de Bonnie Tyler, hymne du dénouement... FUCKIN'HELL. Le meilleur roman noir que j'ai lu depuis bien longtemps, l'apothéose de la saga du Yorkshire de David Peace, dans la boue, dans le sang, dans l'horreur, dans la nuit (désolé, son style est contagieux, j'en écris même des pastiches à une heure du matin!)...

En parlant d'écriture, je l'ai plébiscitée dans les deux précédents volets, mais c'est bien dans ce dernier tome, comme l'intrigue et la narration, qu'elle atteint des sommets. Les jets de mitraillette, les jeux rythmiques, les phrases interminables, les formules qui reviennent sans cesse, obsédant un personnage, sont au rendez-vous, mais il y a cette fois trois personnages principaux, Ellroy-style. Un narré à la première personne, un à la deuxième (!!!), un à la troisième! Dur de s'habituer à cette alternance au début, mais ça crée très vite un effet génial, à mesure qu'on s'attache à eux et à ce qui va se passer. Je ne m'attendais pas à une conclusion aussi fracassante de la saga, râlais quant au retour annoncé sur l'affaire pédophile de 1974... J'avais tort. Étrangement, le premier tome est celui que j'ai le plus critiqué, qui est le plus controversé, l'épreuve du feu que tous les lecteurs subissent et dont ils ne ressortent pas indemnes, parfois vaccinés à vie contre cet auteur... Mais il en devient à long terme le plus mémorable, la douche glacée sous laquelle on a été poussé par derrière et dont on se souvient comme d'un bizutage traumatique.

Le titre de ce dernier acte, 1983, est en grande partie mensonger. En effet, de nos trois voix, le superintendant Maurice Jobson alias la Chouette, l'avocat John Piggott, et BJ (tous bien connus des tomes précédents où ils faisaient office de persos secondaires), seule celle de Piggott reste en 1983. On croit qu'on va avoir affaire à une sorte de legal thriller laborieux avec la demande d'appel de Michael Myshkin? QUE NENNI!!! Face au trauma d'un quatrième enfant disparu neuf ans après l'affaire Garland/Ridyard/Kemplay alors que le pseudo-coupable croupit en prison, Maurice Jobson nous livre la chronique de sa vie, de 1969 à 1983, et là, ce tome devient juste épique. Tous les personnages décédés, disparus, fous, des tomes précédents, ressurgissent sous nos yeux, jeunes, un peu plus innocents et un peu moins coupables, revenus d'entre les morts dans un bal thanatonique genre Le Temps retrouvé de Proust en roman noir. Retours en force de multiples personnages secondaires dont je dois me retenir avec difficulté de vous dévoiler la teneur détaillée, tant c'est jouissif et inattendu. Tous ces fantômes que nous connaissons des tomes précédents, parfois entre-aperçus, s'avèrent cruciaux dans le déroulement de ces quatorze années, tous ont des influences déterminantes sur les vies de chacun, et Peace nous fait même revisiter des scènes des tomes précédents via le point de vue de la Chouette ou de BJ, révélateur ou au contraire biaisé, dans une maestria absolue et un crescendo frénétique. BJ, lui, cavale entre la toute fin de 1974 au Strafford, jusqu'en... Chut, je dois me taire.

Maurice Jobson, figure ambiguë et étrange des tomes précédents, devient vite THE protagoniste de la saga, tour-à-tour salopard, pathétique, émouvant, insupportable de lâcheté... On comprend tout de sa personnalité grâce à sa génèse tragique, et on repense à Ellroy, qui raconte désormais la jeunesse de ses personnages mythiques dans un nouveau Quatuor... Aurait-il été influencé par ce tome de son disciple fort talentueux, dont on sait qu'il est proche dans la vie? Haha...

1983 étant l'opus des révélations, les scènes clés s'enchaînent, on avale ce tome et en même temps on est secoué et épuisé, on doit s'arrêter mais on ne veut surtout pas, après la revisite de tel ou tel moment anodin ou capital antérieur. Peace nous dit tout, ENFIN, mais il ne serait pas Peace s'il ne laissait pas un bon soupçon d'ambiguité planer à la fin. Au contraire des tomes précédents, les réponses, les satisfactions, les surprises et les émotions compensent tellement la part de brume de la fin qu'on s'en fout allègrement, on accepte que ça fasse partie du jeu, tant le voyage a été génial.

Outre la triple narration, l'usage des trois personnes différentes... Il y a un nouveau jeu permis grâce au décalage temporel des trois récits : le retour de certaines mélopées chez Piggott en 1983, qui appartiennent pourtant à Jobson, s'ils se trouvent sur le même lieu à des époques différentes! De nombreuses sentences entêtantes des romans précédents reviennent aussi, ce qui provoque une sorte de conjugaison de toutes les voix, comme si les personnages, au gré de leur descente dans la folie, fusionnaient tous les uns avec les autres dans le cauchemar éternel du Yorkshire, Cri d'Edward Munch en masse, par-delà le temps... Mentionnons certains passages mémorables (mais il y en a tellement) sans trop spoiler : une scène en 1972 digne du Parrain ou d'un Scorsese, où tout d'un coup, tous se mettent à table, dans tous les sens du terme, les moments chez Piggott, avec les fameuses "branches qui heurtent la vitre", refrain de ce putain de roman puisque quelqu'un d'autre y vivait avant, mais là encore, I just shut the fuck up... Et bien sûr, comment ne pas mentionner les virées éthyliques et lubriques de Piggott, surtout au début dans le chapitre 8, où Peace s'amuse à nous pondre un joyeux mix entre Joyce et Bukowski des plus rigolards!

David Peace se voit intronisé Joyce du polar avec 1983, auteur dérangé, insoutenable pour quiconque un tant soit peu équilibré, avec un style unique toujours plus travaillé, recherché, qui nous plonge dans une spirale infernale dont on ressort chancelant comme un ivrogne... Beaucoup se seront arrêtés à 1974 ou 1977, et c'est vraiment dommage!! Consacrons encore une fois Daniel Lemoine, qui a fait un sacré travail, jusqu'aux phrases et conversations qui reviennent plusieurs tomes après... Quelques fois, on note de légères différences, mais peu importe!

J'encourage vraiment tous les réticents, vu que j'en faisais partie, à lire les trois précédents, à supporter une part de frustration, pour arriver à celui-là qui est plus que la cerise sur le gâteau! Peace a rejoint mes auteurs de polar préférés, et ça tombe bien puisqu'avec Ellroy, il va être l'objet principal de ma thèse, donc OUF. Après, je suis moins convaincu de trouver ma pitance dans ses romans suivants (le Japon, c'est vraiment pas mon truc, le foot encore moins) mais on m'a dit le plus grand bien de GB 84, donc bon... Et le coup des douze voix (!!) dans Tokyo, ville occupée, ça me fait de l'oeil grave.

Après ce sacré morceau qu'est 1983, je vais quand même revenir à Ellroy ou autre chose avant d'affronter la Dame de Fer!!

Terminons par un petit pastiche :

1983.
Bordel.
Putain de tome de ouf dans ma gueule.
À faire pâlir tous les marquis de Sade...
Merde.
Chanteur UMP dans ma tête.
Surtout pas...
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Pour oublier.
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Souvenirs qu'on veut oublier, oubliés qui veulent qu'on se souvienne.
Les branches heurtent la vitre.
Essayer de tous les convertir, tous, sur ce site, sur ce forum, sur cette putain de bibliothèque virtuelle, tous, ici, les convertir, tous, essayer de tous les convertir, sur ce site, sur ce forum, sur la place mondiale de l'Internet entier, aux yeux de la Chouette, à Clare Kemplay et ses ailes de cygne, à la Viva verte, à Edward Dunford, à Jack Whitehead, à la Chambre 27, au révérend Martin Laws, au Griffin, au Strafford, au Redbeck, essayer, essayer, essayer...
Pour le salut.
Pas de salut.
Les branches heurtent la vitre.

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