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Critique de Laureneb


Je précise que j'ai lu certains passages, les plus spirituels, ceux qui expriment le plus une foi profonde, de façon un peu rapide, n'étant pas catholique contrairement aux personnages et à l'auteur lui-même, les trouvant assez longs.
Néanmoins, j'ai apprécié cette oeuvre pour sa dimension universelle : elle pose deux questions centrales, pour les croyants comme pour les non-croyants - « le mystère de la création » : pourquoi l'homme souffre-t-il ? Et comment peut-on trouver une consolation ? D'ailleurs, malgré le titre, ce n'est pas une pièce véritablement historique : pas de bataille, pas de politique. le personnage est celui de Jeannette, pas celui de Jeanne d'Arc la pucelle combattante, c'est donc la petite fille d'avant la révélation, d'avant les voix qui lui confieront une mission. Cette pièce est donc avant même le très fort roman de Marc Graciano Johanne sorti l'an dernier qui présente le monologue intérieur de Jeanne lors de son départ pour rejoindre le Dauphin, après la révélation mais avant les premières batailles. Quelques rares allusions donc à la guerre qui ravage la France et la Lorraine, aux Anglais aussi, mais ce pourrait être n'importe quelle guerre, n'importe quand et n'importe où.
Cette pièce est un « mystère », terme qui a plusieurs sens au Moyen-Âge et dans le christianisme. Mystère, c'est ce qu'on ne comprend pas. On ne le comprend pas, car on ne sait pas tout, nous ne sommes pas omniscients et omnipotents, contrairement à Dieu. Nous ne pouvons donc pas expliquer ce qui est de l'ordre justement du divin, notamment le principal miracle, le principal mystère du christianisme, l'Incarnation et la Résurrection. Jeannette pose donc des questions, de nombreuses questions, qui sont par nature sans réponse. Mais toutes tournent autour d'une interrogation centrale : pourquoi Dieu, infiniment bon, permet-il que l'homme souffre ?
Ensuite, le mystère c'est une pièce de théâtre de la fin du Moyen-Âge, jouée en public, devant le parvis de l'église ou de la cathédrale, pour enseigner le catéchisme aux fidèles. Or, ici, je parlerai à peine de pièce. Certes, le texte gagne à être lu à haute voix pour son style, mais je l'imagine difficilement sur scène, dans le sens où il est plus une succession de longs monologues qu'un échange de répliques, et qu'il n'y a pas de rebondissements dramaturgiques. le rythme est donc lent, très lent.
Mais c'est bien un mystère qui enseigne, qui enseigne la Passion du Christ, la gloire des saints, et qui enseigne la souffrance. Et le mystère enseigne aussi à chacun son rôle, sa place dans la société, c'est-à-dire dans l'Église pour le Moyen-Âge chrétien, où tout est dans l'Église. Les trois personnages sont trois visions du monde, comme les trois ordres de la société féodale, mais aussi trois types de souffrance : « il faut travailler, il faut prier, il faut souffrir ».
« Celle qui travaille », c'est Hauviette, qui correspond à l'ordre des « laboratores ». C'est une paysanne, qui travaille ou joue selon le moment, qui croit sincèrement en Dieu, mais le matin et le soir, quand elle a le temps, lorsqu'elle fait ses prières. Oui, le travail est dur, le travail est une souffrance, mais il permet de récolter le raisin – qui sera le sang du Christ, et la moisson – qui sera le corps du Christ. le pain matériel est essentiel dans ce texte, où il est beaucoup question de nourriture.
« Celle qui prie », c'est Mme Gervaise, la soeur dédiée à Dieu. Elle prie, elle pleure, mais elle sera sainte. Elle incarne les oratores, les clercs.
« Celle qui souffre », c'est donc Jeannette, elle qui pleure les malheurs du Christ, les souffrances du Christ, les malheurs des saints, les malheurs des chrétiens. Mais on le sait, c'est elle qui rejoindra l'Église militante, c'est elle donc qui rejoindra les bellatores, ceux qui combattent. Elle ne le sait pas encore, mais elle sera une guerrière.
Oui, le rythme est lent. Oui, les questionnements spirituels ne sont pas les miens. Mais il y a une langue d'une richesse et d'une complexité impressionnantes, qui en font toute la beauté. le texte avance doucement, par petits pas, en spirale, avec des mots qui reviennent dans les monologues comme des refrains et des avancées progressives, ce qui peut évoquer une chanson – j'ai ainsi pu comprendre l'écriture de Marc Graciano dans Johanne, qui, elle aussi, avance de façon progressive et mesurée.
Et puis, sans doute surtout, il y a environ soixante-dix pages en vers libres au coeur du texte qui racontent la douleur de la Vierge lors de la Passion. C'est le portrait d'une femme qui pleure, elle aussi, qui pleure sur son fils, en tant que mère, non en tant que mère de Dieu. Ce passage est un long cri de souffrance bouleversant et à l'écriture étincelante.
Je terminerai en conseillant à nouveau de lire Johanne de Marc Graciano, et en citant quelques vers de la magnifique chanson d'Anne Sylvestre "Une sorcière comme les autres" : "Je vous ai portés vivant / je vous ai portés enfant / Dieu, comme vous étiez lourds / Pesant votre poids d'amour / Je vous ai portés encore / A l'heure de votre de mort".
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