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Critique de michfred


"Les poèmes, disait Eluard, ont toujours de grandes marges blanches, de grandes marges de silence où se meurt toute mémoire." Et il ajoutait :" on rêve sur un poème comme on rêve sur un être".

Odette justement perd la mémoire, Odette sombre dans la démence lobo-frontale, elle perd la boule, elle perd le fil, elle perd les mots: les polars de sa collection du Masque ouvrent à son esprit en déroute leurs propres "marges de silence" pour qu'elle inscrive ses réponses aux questions qu'elle ne peut plus se poser, pour qu'elle accroche sa parole incohérente , répétitive et appauvrie au train bien filé des enquêtes d'Hercule Poirot ou d'Imogène.

Sa fille, l'écrivain Geneviève Peigné, quelques années après la mort d'Odette, retrouve ces 23 livres "écrits" par sa mère. Elle en donne d'abord le texte à dire à une comédienne de talent -Hélène Vincent- puis se décide à renouer le dialogue de l'écrit entre elle et sa mère deux fois perdue.Elle co-écrit avec sa mère disparue L'interlocutrice.

Une figure naît: celle d'Odette, souffrante, prosaïque, obstinée.

Et aussi des images qui "cognent à la vitre" comme disaient les surréalistes; celle, par exemple, de cet "écran noir", déclinée sur toutes les variations que lui offre encore la syntaxe- laquelle reste solide jusqu'au bout.

On lit alors un poème crépusculaire et inquiétant. Une plongée en apnée dans l'indicible.

" A force d'obstination à basculer les mots en tous sens, ce qu'on baptise l'indicible, on l'entend bien qui s'agite- pas tout à fait silencieux, non? "

Ecran noir dans les marges blanches.

Un livre respectueux, pudique, poétique; une lecture douloureuse, angoissante, déchirante.

Je l'ai lu jusqu'au malaise, hier soir, et j'écris très vite, ce matin, ma critique, pour n'y plus penser (??) tant cette écriture tâtonnante, ce discours obsessionnel à la fois incohérent et hautement signifiant m'ont ramenée trois ans en arrière, devant d'autres petits mots balbutiants, trouvés un peu partout dans son bureau, écrits d'une écriture tremblée où je ne reconnaissais plus le trait ferme et élégant, ni surtout l'alacrité d'esprit de mon père - ce grand lecteur de livres qui n'a pas osé, lui, inscrire son naufrage dans la marge de ses meilleurs compagnons..laissant les siens sur le silence d'un dialogue inachevé.



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