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Critique de Franz


La chicha ou l’ivresse des fûts.
Le cyprès (ou « alerce » en castillan) pouvant dépasser les 50 mètres de hauteur et les 2 500 ans en longévité encense les forêts tempérées des Andes australes.
A Valenzual, au sud du Chili, Isabel Von Hamm, femme altière, déliée, incarnée : « quel cou, quelle poitrine, quelle taille, quelle croupe, quelles jambes ! Et cette chevelure noire, sauvage, débordante ! » se rend à la scierie pour une commande de planches. Son passage sème le trouble et embrase les désirs. Le chef d’équipe, artiste des grumes, tourne-bille expert, demande son solde le jour même. Isabel le rejoint, quitte son foyer, son mari, ses cinq grands enfants, sa situation aisée. S., « prononcé essé dans la langue nationale » et Isabel chevauchent de concert et s’enfoncent dans les solitudes andines. Un chantier de coupe et de débardage s’est installé dans le massif forestier du Ventisquero, « un relief cisaillé par des gorges rocheuses ». S. s’y rend en qualité de bûcheron. Entretemps, le carabinier Zakosek et son ordonnance Mariano sont sur la piste du couple fugueur car outre le cocufiage public d’un notable, le stagiaire de la scierie de Valenzual a été retrouvé mort, noyé et déchiqueté dans le lit du Rio Blanco le même jour que la disparition d’Isabel et le départ du tourne-bille. Un jour, pourtant, acculé, il faudra bien que S. se confronte à l’alerce, ce géant d’orgueil, emblème du parc national chilien.
Peu de dialogues n’avivent un récit essentiellement descriptif, ancré dans le présent de narration. La psychologie et le physique des personnages ne sont qu’effleurés. S., insondable bûcheron métis, n’est connu que par une initiale. Le lecteur ignore son passé, ses motivations, ses désirs. Le couple improbable formé avec Isabel, héritière cultivée, n’expose jamais son histoire, son repentir ou ses motivations. Tout est donné à voir dans le déroulement d’une vie fruste et âpre, dans une nature vierge que les hommes mettent en coupe réglée. La mise en place de la scierie rudimentaire en plein massif forestier avec l’émergence des baraquements et la constitution d’une micro société faite de bouviers, bûcherons, cuisinier, chauffeur, charpentier est fascinante. Marc-Alfred Pellerin fait sentir les rapports entre les hommes, les mouvements d’humeur, de jalousie et d’envie, les peurs refoulées et les craintes expirées, les liens posés sur des apparences, les élans jetés dans l’effroi des solitudes andines.
Roman posthume paru en 2013, L’Alerce témoigne de l’intérêt de l’auteur pour les contrées boisées et sauvages, qu’elles soient canadiennes, russes ou chiliennes. Ses romans jalonnent ses pérégrinations. Du terroir normand au Chili austral en passant par la Yakoutie en Sibérie orientale ou par le Québec, l’auteur a géré une forêt dans le Perche et fait des voyages d’étude dont il a extrait des livres tels La Bourde (1996) se déroulant dans le bocage mayennais ou Inokenti (2004) avec la course de l’enfant innocent dans la taïga. Auteur somme toute confidentiel, Marc-Alfred Pellerin travaille son écriture à l’os et pose des phrases incisives avec un regard acéré. Le découvrir et le relire demeurent un plaisir constant que le temps érosif n’entame pas.
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