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Critique de Gehenne


DE QUOI PELOT EST-IL LE NOM ?

La sortie récente chez Bragelonne d' « Oregon », l'intégrale d'une série parue en 1990 mais remaniée et augmentée par l'écrivain vosgien, est l'occasion toute trouvée d'oser formuler une réponse à l'ambitieuse question exprimée par notre titre. Ce roman de prospective-fiction est suffisamment représentatif de l'oeuvre du polygraphe inspiré pour nous en offrir le matériau adéquat.

Or donc, Pelot, c'est d'abord un paysage qui s'anime par la magie du verbe, prend forme, se dessine sous nos yeux ébahis par tant d'images, par cette science de la mise en perspective, par ce souci du détail signifiant, et s'enracine dans notre esprit devenu grand écran pour mieux appréhender la richesse du dessin. Tenez, lorsque les deux héros rejoignent en hélicoptère leur refuge, ça donne ceci : « Ils avaient survolé plusieurs villes aux artères pulsantes de circulation automobile compacte, des routes et des portions de voies rapides qui ressemblaient à des conduits étroits dans lesquels les véhicules auraient été lancés de très loin et roulaient comme des billes qui ne se percutaient jamais. Un fleuve de mercure sur le trajet duquel le soleil plaquait son incandescence. » Vision cinématographique, non ? Et ailleurs, un protagoniste arrive dans un village abandonné où « un reste de chaleur faisait trembler l'air épais au ras des crevasses et des éclatements du revêtement de vieux goudron effrité couvert de terre et semé de plaques gazonneuses, comme des lambeaux de vieille moquette sur un plancher effondré. L'herbe des prés environnants, calcinée sur pied depuis des années, épandait ses ondes mortes dans les différentes nuances de l'exsangue, long reflux empaillé qui ne bronchait même pas au souffle d'air nonchalant. » On s'y croirait !

Pelot, c'est aussi une galerie de personnages croqués à l'encre sèche par un styliste de haute lignée, traqués dans leurs moindres caractéristiques et mis en pleine lumière, défauts et qualités en bandoulière, par ce don si précieux que Pelot possède de faire remonter à travers un aspect physique ou un simple geste le reflet d'une âme. Ainsi, cette fille condamnée par la Maladie (un fléau qui a entraîné le chaos dans le monde décrit par le roman) mais qui refuse de lui céder : « Ses grands yeux mauves qui brûlaient de fièvre sans que l'on pût savoir s'il s'agissait d'une incandescence pathologique pure ou de ce qui consume l'expression d'une inébranlable volonté. » Styliste, peintre, pour vous en convaincre, ceci encore sur les deux héros de l'histoire Oregon et son petit frère Kyllian : « La lumière chaude éclairait Oregon par le trois-quarts arrière et gribouillait autour de sa chevelure défaite une auréole de brillances évoquant des myriades de petites flammes hérissées filiformes et son ombre portée sur le visage du garçon, avec pour effet de diffuser autour d'eux la clarté sourde de la lampe, les isolait dans le même îlot de pénombre douce. » Comment mieux évoquer une intimité complice.

Pelot, c'est encore LE raconteur, à l'image de certains personnages de sa saga, celui qui met en scène, construit son intrigue par lents aller-retours, conduit le lecteur de méandres en culs-de-sac pour mieux le réorienter ensuite vers le chemin de traverse où il frôlera la vérité –une certaine vérité-, le déstabilise parfois, le passionne toujours. Dans « Oregon », sommes-nous en 2015, comme le prétendent les tenants du pouvoir et leur cohorte d'agents et de contrôleurs, ou en 2065 comme tentent de le prouver les Raconteurs, qui agissent dans l'ombre et misent sur une drogue permettant d' « accéder à des événements qui te feront comprendre ce qui s'est passé. », ainsi que le révèle Ethan, ancien ami de son père et devenu Raconteur, à Oregon ?

Pelot, c'est enfin un résistant. Les extrémismes, les fanatismes ne trouvent jamais grâce à ses yeux et il a toujours dans sa besace fictionnelle le personnage susceptible de dénoncer les agissements des fondamentalistes, des excités de tous poils, des exploiteurs de la crédulité humaine et de les fustiger. Ici, c'est le dénommé Jérémie qui a perdu sa soeur, victime « des suceurs de sang et de moelle » parce que, comme bien d'autres, elle appartient à « tous ceux qui cherchent ou attendent quelqu'un, ou quelque chose à quoi se raccrocher pour ne pas partir à la dérive. » Ca ne vous rappelle rien ? Et comme il se doit, déferlent sur le monde chaotique d'Oregon des bandes de déments, dont « l'aliénation s'était structurée, ordonnée, s'était laissée encadrer et enrégimenter par de malins gourous, d'astucieux et pragmatiques fous furieux. » Voilà on est en plein dedans !

Ce roman puissant d'une amnésie planétaire contrôlée par des puissants offre à Pierre Pelot l'occasion idéale pour dérouler le fil d'une toile d'araignée dans laquelle son lecteur se laisse emprisonner avec délectation. Il peut se lire au premier degré, le talent du conteur le permet. Mais il possède en arrière-plan des ramifications qui donnent de la substance au propos. Chez Pelot, la réflexion qu'induit l'histoire ne nuit jamais au plaisir de la lecture.






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