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Critique de enjie77


Quel joli titre que celui-ci « Les Gardiennes ». Il illustre parfaitement ce récit et suppose tout le courage, les sacrifices, les obligations auxquels ces gardiennes ont dû faire face au moment de la Grande Guerre.

Sur le site « Grégoire de Tours », on peut lire l'appel qui est adressé aux femmes par le Président du Conseil, René Viviani, le 2 août 1914. Cette demande rend compte de l'instant tragique que vit le pays.

A la lecture de ce discours, comment ne pas imaginer le fardeau qui tombe subitement sur les épaules de ces femmes, le sentiment de solitude qui les envahit sans compter la douleur, l'angoisse de voir partir l'époux, le frère, le père, le fiancé, le fils. La guerre est déclarée, tous les hommes valides partent pour le front.

Quel bel hommage qu'Ernest PEROCHON leur rend en nous proposant cette fiction très inspirée des faits de cette triste période. Il salue toutes ces femmes, ces épouses, ces mères, qui se sont emparés des usines, des terres agricoles, des magasins, des bureaux, pour ne pas laisser sombrer l'économie de la France.

J'ai tout particulièrement apprécié l'écriture d'Ernest PEROCHON, très facile à lire et très agréable pour les amateurs de notre belle langue française, elle est passéiste, « ensemencée » des mots qui sonnent joliment à notre oreille et qui nous emportent dans nos lointains souvenirs de petits enfants de gens de la terre. Il y a des passages d'une grande émotion à l'intensité de laquelle nous ne pouvons échapper.

Ce récit nous raconte les épreuves, les énormes difficultés et les quelques satisfactions que vivent quatre femmes : Hortense Misangère, maîtresse femme, sa fille, Solange, sa bru, Léa, Francine, domestique, venant de l'Assistance et la petite boulangère, Marguerite. Travailleuse infatigable, Hortense mène son petit monde à la baguette malgré ses 58 ans y compris aussi, son mari, Claude, bien épuisé, bien abimé par ses années de dur labeur.

Ce livre, paru en 1924, est un véritable témoignage de ce que les femmes ont dû surmonter en l'absence des hommes, le courage, la force morale qu'il leur a fallu pour remplacer les hommes et veiller à la préservation de leur patrimoine : leur seul moyen de subsistance jusqu'au retour de la Paix.

Chez ses paysannes, on ressent l'amour viscéral de la terre, cette terre qui vous absorbe corps et âme, qui vous demande tout jusqu'à l'abnégation comme le fait la mer avec les marins.
Il faut lire les passages du travail dans les champs, imaginer ces femmes confrontées au dur labeur qu'assumaient les hommes, prendre la fourche, dresser les meules de paille, veiller à ce qu'elles ne s'écroulent pas, ferrer les mulets, mener les bêtes, moissonner, faucher. Hortense va jusqu'à se heurter à sa fille, Solange, qui par moment est à bout, démotivée, et qui envisage de tout laisser tomber. Mais Hortense veille et mène son petit monde d'une main de fer. Elle en devient même impitoyable. C'est un sacré portrait de femme de la terre qu'Hortense mais elle en paiera le prix fort ! Son but, transmettre la terre aux descendants, la faire fructifier et démontrer aux hommes toutes les capacités dont sont capables les femmes.
Et puis, il y a Léa, qui vit dans le marais et que l'humidité rend malade mais qui ne baisse jamais les bras. Quant à Francine, enfant de l'Assistance, elle symbolise la discrimination, la méfiance que ces enfants de l'assistance subissent de la part de la société civile : L'opprobre rejaillissant aussi sur leurs propres enfants. Avec vaillance, elle affrontera, elle aussi, une épreuve douloureuse.

Mais Ernest PEROCHON, c'est aussi la beauté de cette Venise Verte décrite avec tant de poésie que je me suis retrouvée avec Francine, en barque, rame à la main, à glisser paisiblement sur l'eau du canal :
« Dans l'eau calme du canal se reflétait les pâles quenouilles des peupliers de bordure et la procession blanche des nuages ; le bateau semblait glisser sur un pan de ciel ».

Il n'hésite pas non plus à évoquer l'arrivée des alliés, les américains, avec tous les émois que cela va engendrer en l'absence des hommes.

Moi qui suis femme et enfant de la Paix, je mesure l'étendue du chemin parcouru pour me permettre d'exister aujourd'hui en tant que femme et en tant qu'individu. Je conseille vivement la lecture de ce roman à nos jeunes femmes. C'est un livre féministe qui fait prendre conscience de la vie de nos arrières grands-mères, nos grands-mères et nos mères. Ce fut un tournant dans l'émancipation des femmes mais au retour du front, les hommes ont voulu reprendre leur place et cantonner les femmes aux travaux domestiques. Mais elles avaient goûté à l'émancipation et elles ne feraient plus marche arrière. Je suis issue de cette catégorie de femmes, je pense à mon arrière grand-mère qui a fait tourner l'usine pendant que mon arrière grand-père était au front, je pense à leur fille qui mettait les « culottes » de son père et avait les cheveux courts en 1920 qui m'a toujours dit « ne dépend jamais d'un homme ma petite fille, ai un bon métier », à ma mère qui s'est battue pour l'IVG et qui m'a toujours dit « le jour où on veut vous enlever l'IVG, descends dans la rue, bats toi ».

Ces femmes n'ont jamais considéré l'homme comme un ennemi, bien au contraire, mais comme l'autre partie de l'humanité. Elles ont revendiqué simplement l'égalité des droits. Je suis fière de cet héritage sur lequel je dois veiller et je les en remercie du fond du coeur.

Claire et Nostradamus, je tiens à vous remercier pour m'avoir fait connaître Ernest PEROCHON et ses gardiennes.
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