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Critique de raton-liseur


Qui connaît Ernest Pérochon ? Peu d'entre nous si j'en crois le nombre de lecteurs attachés à son nom sur ce site… J'ai découvert cet auteur par hasard, grâce à ce titre, mis en ligne sur l'excellent site Des Livres à Lire et à Entendre, qui propose des livres audio libres de droit et gratuits. Nêne est probablement le livre le plus connu de Pérochon, puisqu'il lui a valu le Prix Goncourt en 1920 (mais entre inconnu et totalement inconnu, je chipote). C'est pourtant avec Les Gardiennes que je découvre cet auteur. Livre dont la thématique est dans l'air du temps en cette période de commémoration du début de la Première Guerre Mondiale.
En effet, Les Gardiennes, ce sont ces femmes qui, après le départ de leurs maris, de leurs fils, de leurs frères vers les tranchées se retrouvent à la tête de leurs fermes (on ne disait pas encore « exploitation agricole ») et ont dû faire face, prendre directement des décisions qu'elles ne faisaient (au mieux) que souffler à leurs maris, et veiller sur le bien familial. Certaines ont baissé les bras et n'ont pas renouvelé leur bail, certaines se sont tuées à la tâche, beaucoup ont fait face avec l'énergie et les ressources dont elles disposaient.
Ce sont ces femmes qu'Ernest Pérochon nous décrit, leurs difficultés, leurs forces et leurs moments de faiblesse. La grande Hortense est la figure même de ces gardiennes, qui, bien qu'ayant passé la main à ses gendres et fils il y a plusieurs années, se remet à l'ouvrage pour conserver ce patrimoine agricole si durement acquis et mis en valeur.
Alors certes, il y a une amourette pour faire pleurer dans les chaumières, mais Pérochon ne se sent pas obligé ni de nous gratifier de scènes érotiques ridicules ni de nous donner une fin à l'écoeurante saveur de guimauve, comme une certaine littérature régionaliste trop facile se sent obligée de le faire. L'amourette est donc là, entre un soldat en permission et Francine, jeune fille de l'assistance publique (un thème qui semble récurrent chez Pérochon, car il semble être abordé dans Nêne aussi). Mais, même si cette histoire prend de l'importance dans la seconde partie du livre, le propos et l'intérêt que j'y ai trouvé n'est pas là.
Ce que j'ai surtout apprécié, c'est la description de ce pays de bocages et de marais dont Pérochon, originaire de Courlay dans les Deux-Sèvres, s'est fait le chantre (mais on pourrait être n'importe où en France un peu loin du front), de la mutation que le système agraire subit du fait du départ des hommes. Comment les femmes prennent des responsabilités (mais l'impact de la Première Guerre Mondiale dans la redéfinition des rôles masculins et féminins m'était déjà connu, plutôt dans l'industrie peut-être), et comment les méthodes de travail elles-mêmes se modifient, avec notamment la mécanisation de tout un tas de gestes techniques, l'apparition des moissonneuses, le début de la fin de la traction attelée.
Sans jamais tomber dans la démonstration, Pérochon évoque ces changements simplement, met à jour sans paraître y toucher les enchaînements et les conditions qui les rendent nécessaires. Une page de notre histoire agricole racontée avec simplicité, sans termes techniques mais avec une grande précision. En définitive, un livre très intéressant sur ces bouleversements qui annoncent la révolution agraire de la moitié du XXème siècle, et les bouleversements sociétaux dont elle est concomitante.
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