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Critique de Erik35


Georges Perros est de ces auteurs rares - trop rares, peut-être - dont on peut jamais dire qu'il n'a jamais réellement construit une "oeuvre", tandis que, pour autant, cette oeuvre existe, vit, s'exprime réellement, et même bien après sa mort - des suites d'un cancer de la gorge - en janvier 1978. Une oeuvre d'une force pénétrante.

Bien sur, le lecteur attentif ne peut méconnaître les Papiers collés, publiés au fil du temps en trois volumes chez Gallimard. Pourtant, rien de moins fabriqués, d'anticipés que ces textes plus ou moins brefs, d'aucuns ressemblant bien plus à des aphorismes plutôt qu'à des réflexions construites, faites à dessein et pour "prouver" quelque chose.

Bien sur, il y a ce profond recueil, Une vie ordinaire, manière d'autobiographie poétique sans fioriture ni facilités stylistiques superflue ou gratuitement esthétiques, malgré l'utilisation stricte d'une versification en octosyllabes et dans un même temps, d'une immense liberté de construction interne.

On se souviendra aussi des beaux Poèmes bleus. Mais Perros fut si négligent de son oeuvre - et plus encore de cette chose si futile nommée postérité - qu'une immense part de ses textes ne furent, ne sont encore, découvert qu'après sa disparition bien trop rapide.

Ainsi en est-il de ces quelques vingt-huit poèmes proposés par l'excellente petite maison d'édition bordelaise, Finitude, dans ce volume reprenant l'entame d'un des textes retrouvés et proposés pour l'occasion "J'habite près de mon silence".

Le silence, celui de sa voix légèrement haute et très posée, très chaude en même temps, ce silence imposé par la maladie, Georges Perros en fut le compagnon sans doute malheureux, malgré L'ardoise magique. Mais ce silence, c'est aussi celui qu'il alla trouver au bout du bout du monde, en Douarnenez - Douar an enez, du breton, la terre de l'île. Presque un programme - loin, si loin des rumeurs parisiennes où il fit ses premières armes, où il prit conscience de la fin probable de l'occident, et voulu s'en éloigner.

C'est le silence de la Mer et de ses marins laborieux, des taiseux mais des hommes. C'est encore le silence envahi des mouettes et des goélands en un jeu calligraphique presque enfantin et tendrement émerveillé à la fois. C'est encore le silence complice des vieux amants, face à la vie passée, face à la mort inexorable mais sans crainte. C'est le silence impossible des mots qui disent - ou s'essayent à dire par leur trop d'excès :

On ne dit que ce qu'il faut dire
mais le mot qui reste est le pire
tout seul il fait mille petits
les psychiatres, quel appétits !

C'est le silence absolu, définitif, et qui blesse, par l'oubli, par le vide d'amour.

Une poésie tellement vitale que celle de Georges Poulot dit Georges Perros. Vitale, essentielle, d'un humanisme vrai, sans circonlocution, sans faux semblant. Abrupte même, mais le vrai chemin du coeur, le chemin vers soi ou vers l'autre ne peut se satisfaire de mensonge, ni du silence des mots.

Écoutons encore un peu cette voix si profonde, cruciale, sombre aussi. Une voix irréparable :

J'habite près de mon silence
à deux pas du puits et les mots
morts d'amour doutant que je pense
y viennent boire en gros sabots
comme fantômes de l'automne
mais toute la mèche est à vendre
il est tari le puits, tari.
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