AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de colimasson


Alberto Caeiro garde les troupeaux mais ne garde pas les mots auxquels il accorde une liberté mélodique indéfinissable, qui s'écarte de la simple prose poétique par le rythme saccadé qu'il impose à ses rêveries pragmatiques. Basculant sans cesse entre panthéisme et froide vision rationnelle des phénomènes poétiques de l'existence, les mots desservent sa sensibilité mais permettent d'accéder à un paysage intérieur infini. Entre exaltation céleste et brusque chute terrestre, Alberto Caiero se sent menacé par une tragédie intérieure qui ne surviendra peut-être jamais. Alberto Caeiro, attaché à une terre et aux sensations qu'elle lui procure, se force à rester intègre et à balayer les velléités poétiques qui menacent de le faire plonger dans la folie sensible.

« Nous avons tous deux vies :
la vraie, celle que nous avons rêvée dans notre enfance, et que nous continuons à rêver, adultes, sur un fond de brouillard ;
la fausse, celle que nous vivons dans nos rapports avec les autres,
qui est la pratique, l'utile,
celle où l'on finit par nous mettre au cercueil. »


Alvaro de Campos garde les poésies d'Alberto Caeiro. Pendant ce temps, il compose d'autres poèmes. On peut leur trouver une affiliation directe : lorsque le premier maîtrisait sans cesse ses penchants destructeurs pour les convertir en une vision unifiée et indifférente de l'univers, le second convertit cette même unité en un désespoir intérieur qui dépasse les limites de son être. On croirait entendre hurler Emil Cioran : « Ah ! comment renverser un jour cet univers dans un frémissement universel ! » -et la même ironie lucide, le même désabusement amusé, ponctuent ces poésies et les rendent à leur juste place, à la valeur de rien.

« Moi qui, véloce, vorace, glouton de l'énergie abstraite,
Voudrais manger, boire, égratigner et écorcher le monde,
Moi à qui suffirait de fouler l'univers aux pieds,
De le fouler, le fouler, le fouler jusqu'à l'insensibilité…
Je sens, moi, que tout ce que j'ai désiré est resté en deçà de mon imagination,
Que tout s'est dérobé à moi, bien que j'aie tout désiré. »


Le rythme encore rend la parole abrupte et directe, rendant presque suffocante la lecture de quelques poèmes-fleuves au titre desquels il faut relever un « Bureau de tabac » aux faux airs inoffensifs.


Qui garde ces deux grands poètes ? Fernando Pessoa, à peine cité dans une note en astérisque, surveille discrètement ces hommes déchaînés, d'une vigueur au moins synesthésique et sensuelle, si elle ne parvient pas totalement à être physique. Fernando Pessoa n'est pas grand-chose lui non plus, mais comme Alberto Caeiro et Alvaro de Campos, il sait qu'il peut être beaucoup plus –et son silence modeste fait surgir la puissance de cette synergie d'âmes qui cohabitent en lui.
Lien : http://colimasson.blogspot.f..
Commenter  J’apprécie          330



Ont apprécié cette critique (28)voir plus




{* *}