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Critique de vilvirt


Près du village de Livres-la-Vallée se tient le couvent de Notre-Dame-des-Lettres. Mais pas n'importe quel couvent : un lieu unique et original imaginé par un écrivain - Gabrielle Lenoir - décidée à vivre retirée du monde à seule fin de se consacrer exclusivement à sa passion : la littérature. Quelques écrivains - triés sur le volet et décidés eux aussi à vivre à l'écart de la société - l'ont rejointe au fil des années et forment une curieuse confrérie de "moines littéraires" en marge du monde. La mère fondatrice de ce lieu préservé met en place un concept proche de la religion catholique qui vise à adorer la Littérature comme une véritable divinité et à lui rendre grâce en respectant certains préceptes tels que l'écriture, la lecture et l'exploration de toutes formes de cultures - pratiques essentielles à la construction d'un esprit instruit. Jusqu'à ce qu'un jour, Gabrielle décide d'introduire un novice au sein de la petite communauté : un adolescent, Willy, doué pour l'écriture malgré son jeune âge, auquel elle s'attache irrémédiablement et qui va apporter dans son sillage un vent d'innovation et de bouleversements sans précédents.

Tout d'abord, je tiens vraiment à remercier Fémi Peters qui m'a contacté sur le site Babelio et m'a fait parvenir cet ouvrage par le biais d'autres lecteurs. Sans cela, je ne pense pas que j'aurais jamais eu l'occasion de lire son livre, d'en apprécier toutes les bonnes choses et d'y prendre tant de plaisir. D'habitude, je ne répond pas aux demandes des uns et des autres, et je ne découvre que très très rarement un ouvrage par ce biais. Mais là, j'ai fait une exception en lisant le résumé de Notre-Dame-des-Lettres qui était plus qu'intriguant ! Un couvent dédié aux lettres et aux écrivains, une histoire qui aborde entre autres choses les pièges du prosélytisme et du fanatisme et fait la part belle aux auteurs classiques, ne pouvait que m'intriguer !

On suit donc l'arrivée du jeune Willy au couvent de Notre-Dame-des-Lettres, ses premières années en tant que novice, ses succès dans le monde de l'écriture, ses amitiés avec les frères et soeurs qui l'entourent et son affection inconditionnelle pour Gabrielle qui fait presque office de mère pour le jeune homme. Mais le couvent est également régit par des lois très strictes - les mêmes que celles qui ont cours dans un monastère ordinaire - et il est donc interdit aux "moines" de se marier ou de fonder une famille, leur unique but dans la vie après leur entrée au couvent étant de s'instruire, de lire et d'écrire ! Avec toutes les contraintes que cela impose, on assiste jour après jour et année après année à l'évolution de Willy, aux difficultés qu'il traverse loin de sa famille et de ses amis, à ses doutes et à ses peurs ainsi qu'à celles de ses frères et soeurs, aux jalousies auxquelles il s'expose, aux aléas de la vie qui touchent son entourage sans qu'il puisse jamais vraiment intervenir. Mais plus que tout, on voit sa formidable admiration pour les livres et sa foi absolue dans cette nouvelle religion dont il rêve d'étendre l'influence à travers le monde.

Sûr du pouvoir des livres pour guérir tous les maux, Willy commence alors un travail fastidieux destiné à gagner chacun à sa cause et qui aura pour but de faire connaître à la société son mode de vie ainsi que celui de ses frères et par-dessus tout, la supériorité de la littérature en tant que croyance.

Autant le dire tout de suite : le récit de Femi Peters se lit d'une traite. Il est d'un abord facile, le style est simple et fluide, et malgré le peu de rebondissements (puisqu'il est avant tout question de l'existence des moines dans leur monastère !) on dévore l'histoire du début à la fin sans ressentir d'ennui. Et pour moi, dans la plupart des cas, c'est le propre d'un excellent bouquin ! L'originalité de l'idée de base n'est pas étrangère non plus à mon plaisir de lecture mais elle est aussi la source de certaines petites choses que je pourrais reprocher à cet ouvrage...

Sur l'idée d'une religion issue de notre passion pour la littérature, le livre de Femi Peters est intéressant dans le sens où il permet de juger les excès et les débordements du fanatisme même si je regrette quelque peu que les conséquences n'y soient pas plus approfondies. le moins que l'on puisse dire, c'est que son ouvrage pousse la lectrice que je suis à se poser un certain nombre de questions et à s'interroger sur un point en particulier : la supériorité de la littérature sur toutes les autres formes d'art ainsi que le besoin ressenti d'endoctriner les autres.

C'est ce que tout lecteur passionné et boulimique pense quelque part au fond de lui. Celui qui lit depuis toujours et ouvre la porte à ses rêves par le biais de l'imagination ressent souvent le besoin impérieux de convertir les autres à sa passion. Qui n'a jamais songé : Ma religion, c'est la littérature ? Je ne me déplace jamais sans mon livre, je lis tant de livres par mois, je raisonne en terme de titres, d'auteurs, de références littéraires, de citations et je me construit à travers ma passion. de là à mener une croisade pour endoctriner les foules ? En théorie, ça peut séduire. Malheureusement, je doute que ça puisse fonctionner. C'est ce que se propose d'évoquer Femi Peters à travers le récit de Willy.

Bien que la réalité nous rattrape toujours et que, contrairement à une religion "ordinaire", il soit difficile d'imaginer qu'une foule de gens puisse se laisser convaincre par ce qui reste avant tout un plaisir ou un hobby (comme le tricot ou le jogging) alors qu'aucune prédisposition pour la lecture n'a jamais été ressentie auparavant, l'auteur utilise ce concept utopique pour construire son récit autour de la foi de Willy... C'est là que le bât blesse. Pour moi, la littérature ne peut pas être associée à l'idée de religion. C'est un plaisir qui doit être vécu librement (même s'il est souvent exclusif) et je n'imagine pas qu'on puisse forcer quelqu'un à se guérir par les livres, encore moins à apprécier la littérature d'un claquement de doigt. J'ai eu la sensation que dans le roman de Femi Peters, elle devenait quelque chose de facilement accessible susceptible d'être enseignée et appréciée par tout le monde. Et je dois dire que j'ai eu du mal à adhérer, malgré la séduction de la chose qui flatte forcément mon goût immodéré pour la lecture...

Ce qui nous mène à nous interroger sur la crédibilité de son personnage tout habité de sa foi pour les livres, et en passe de devenir un très grand écrivain. En effet, à mes yeux, la littérature (et surtout le travail d'écrivain) se nourrit avant tout du contact avec les autres. Elle est et restera toujours synonyme d'échanges, de relation et de transmission culturelle. Comment peut-on imaginer écrire et créer en étant en marge de la société, et, comme Willy depuis l'adolescence, à cent mille lieues de la réalité, sans contact avec l'extérieur (exceptés de rares courriers) dans un lieu isolé où l'amour, les déceptions et les aléas de la vie qui nous façonnent ne sont vécus que par procuration ? Tout semble aller de soi avec presque trop de facilité - la réussite des écrivains, le succès de leur religion, les projets et les ambitions de Willy...

Ce qui m'empêche de m'enthousiasmer complètement pour ce livre malgré l'imagination de son auteur, c'est l'idée première qui aurait pu être traitée différemment. La voie que Femi Peters a choisi est celle de l'accomplissement d'un homme aux relents de perfection parfois indigestes. Elle fait de son personnage Willy un homme a qui tout réussi, qui décide de se passionner pour les langues étrangères, les romans policiers ou l'écriture de pièces de théâtre, et qui n'échoue dans aucun domaine ! J'ai trouvé qu'on lui décernait un trop grand pouvoir de persuasion et son influence est gigantesque aussi bien au sein du couvent - auprès de ses frères et soeurs tous plus sages et plus âgés que lui - que du monde extérieur - prêt, apparemment, à se laisser assez facilement subjuguer par une nouvelle forme de religion. Je pense que l'auteur aurait bâti un récit bien plus subtil et réaliste en cultivant un peu plus le caractère de son personnage principal et en prouvant justement qu'on ne peut pas nourrir l'esprit créatif en restant replié sur soi-même au sein d'une communauté certes cultivée mais totalement isolée. Willy est brillant mais n'en reste pas moins un jeune homme dont l'évolution psychologique n'est pas en accord avec son environnement.

Malgré cela, le récit en lui-même est passionnant et on s'attache à chaque personnage en assistant à leur évolution au fil des années. J'ai aimé les interruptions dans la vie de Willy qui nous permettent de garder un oeil sur ses amis à l'extérieur et de les voir évoluer d'une manière bien différente de la sienne. Il est parfois très antipathique, son égoïsme et son manque de compréhension vis à vis de certaines choses restent toujours parfaitement légitimes. N'oublions pas que ces moines ne sortent pratiquement pas du couvent et vivent loin des passions et des désarrois de ce monde. Ils n'assistent aux histoires d'amour, aux naissances et aux choix de vie de leurs proches que par le biais des lettres qu'ils en reçoivent, ce qui entraîne un manque d'indulgence, de l'aigreur devant les sacrifices consentis et parfois même une certaine forme de jalousie à l'égard des autres. Willy a par exemple des difficultés à concevoir que ses proches puissent négliger de lui écrire durant quelque temps lorsque leurs préoccupations prennent le pas sur l'amitié, ou encore que ses parents puissent se plaindre de leur situation financière qu'il est très loin de comprendre.

C'est une histoire originale dont les bases - l'existence d'une religion fondée sur la littérature - est vraiment bien trouvée et servie par un style simple et plaisant qui nous fait tourner les pages à toute vitesse. C'est là tout le talent de Femi Peters même si je regrette le choix de son traitement sur un sujet que j'aurai aimé plus approfondi, ainsi que la voie qu'elle a favorisé pour son récit et ses personnages.

Notre-Dame-des-Lettres est avant tout un conte moderne qui plaira aux amoureux des livres, et le concept de son couvent est une belle utopie à laquelle nous sommes nombreux à avoir rêvé. C'est une histoire intelligente sur la construction de soi, sur le pouvoir des livres et la fascination qu'ils exercent, un récit qui place la littérature au sommet et fait la part belle aux romanciers et aux poètes - quels qu'ils soient.

Une découverte originale, donc, qui m'a permis de connaître un auteur sensible et talentueux que je continuerai à suivre !
Lien : http://tranchesdelivres.blog..
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