« Toi, au moins, il te reste les hommes » .
« Londres , la ville, nous observe, elle nous a toujours observés; maintes fois, à chacun de nos pas, elle a susurré: « Vous ne m'aurez pas » .
« le désir ne s'apprivoise pas. le désir est imprévisible .
Il surgit, explose, s'essouffle ou se renforce en suivant une progression chaotique —— à l'Image des cours des marchés financiers » .
Quelques passages de ce récit curieux, torturé, très contemporain , vaquant, plongeant sur « les traces indélébiles du souvenir » , mené de main de maître par cette jeune autrice italienne, née à Pavie, qui a travaillé plusieurs années dans une banque d'affaires à Londres.
Giulia, trente - deux ans, employée à Londres dans une banque d'affaires , jouit d'une situation avantageuse :hélas, le bonheur y est une denrée rare,, très peu de temps libre , malgré beaucoup d'argent, relations plutôt intéressées, visant avant tout à se forger une réputation , en plus un écosystème regardé par le reste de la société avec défiance …
Un monde artificiel et cynique ô combien mais elle ne le lâche pas !
Elle est tombée, alors étudiante, raide amoureuse d'un financier, Michele , venu à Milan, faire la promotion de son dernier essai à la faculté .
Son aîné de vingt ans : il travaille à Londres , elle connaît déjà l'art de la conquête, il est séduit et il succombe .
Bientôt, elle le harcèle de SMS, il rompt.
Des années plus tard ils se retrouvent alors qu'elle même travaille à la CITY.
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L'auteure conduit à l'aide de courts chapitres, en phrases nerveuses une belle analyse de la très délicate mécanique des sentiments, une plongée glacée, mi- cynique et froide, mi - tendre sur les traces des souvenirs.
Elle conte le désir d'une jeune femme, décrit avec virtuosité la montée de la passion, ses affres, l'isolement auquel cela peut conduire , les obsessions qu'elle provoque , jusqu'à la montée des souvenirs d'une histoire que l'héroïne croyait avoir enterrée …..
« le désir ne s'apprend pas » .
« le désir surgit de nous par hasard , par moments, parfois, en des circonstances ordinaires. Il suffit d'un rien . Alors nous découvrons la vérité . Nous voulons certaines choses et pas d'autres » ..
Dressée au monde de l'argent qui est le sien, Giulia ne parvient pourtant pas à rien négocier.
Michele est une sorte d'obsession lancinante , aiguë .
Enfant posthume d'un père allemand disparu, la jeune italienne, élevée seule par sa mère ,manque de repères au sein d'une société, affolée par le libéralisme et devenue obsédée , hystérique par les crises qui se répètent .
Les allers et retours entre passé et présent n'ont pas été ,parfois , faciles à suivre .
L'autrice nous offre des digressions multiples sur la finance, la musique,le destin , l'héroïne est insaisissable et froide.
La romancière mène une introspection, d'une sensibilité et maîtrise remarquables, entre ce qui anime notre désir et son expression au sein du milieu financier: solitude des adultes à la recherche d'un être aimé , errance dans une métropole aux artères tentaculaires, pouvoir et nature du désir .
Elle témoigne des fractures douloureuses de l'amour——-une certaine fragilité résidant en nous , au sein d'un monde occidental devenu en quelque sorte, vide ——- absent à lui - même —— une bulle où les êtres manquent totalement d'empathie ,où l'amour n'existe plus.
« J'ai toujours pensé que tôt ou tard , les histoires d'amour connaissaient l'abîme , l'humiliation , l'ennui ,la menace ou, avec de la chance , la restructuration, la bonne distance . J'ignore quelles peuvent être les conséquences d'une cristallisation » .
Froid constat de fin de récit .
L'autrice mène son récit glacé et glaçant avec ce qu'elle appelle de « la loyauté » mais aussi un art remarquable du suspens , du désordre amoureux , sans pathos, ni hypocrisie , juste terrible et lancinant .
On pourrait résumer cyniquement: « les amours anciennes déçues d'une employée de la CITY, fracturées, virant à l'obsession » où l'hystérie de la passion rejoindrait celle du monde artificiel de la finance .
Un récit classique très contemporain pétri d'esprit, empreint de la fragilité de l'amour .
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