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Mon père était le chauffeur d’une bande de truands. Il était considéré comme le meilleur de la ville ; personne ne pouvait le battre au volant. D’après ce qu’on disait, il allait plus vite en marche arrière que bien des gars en marche avant. Toujours est-il que mon père est mort au cours d’une poursuite en voiture. Pas d’une balle ni rien. Mais il y a eu une poursuite avec les flics, et il est mort au volant.

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Le score final n’est pas la chose primordiale si on veut gagner de l’argent plutôt qu’en perdre. Je savais qu’un joueur allait jouer plus lentement parce qu’il s’était fait mal à la cheville. Je savais que tel quarterback était malade. Je savais qui fumait de la marijuana et qui sniffait de la coke.

La leçon m’a servi. J’ai compris que je n’étais pas aussi fortiche que je le croyais. Je dépendais trop des autres. J’avais donné à mes informateurs un pouvoir de décision que je ne maîtrisais plus. J’ai aussi réalisé que si je voulais gagner ma vie en jouant contre les meilleurs bookmakers, je ne devais plus écouter les autres. Si je voulais faire du jeu un gagne-pain, je devais tout faire moi-même et ne me fier qu’à moi-même.

Avec un peu de talent, de l’amour-propre et une certaine connaissance du jeu, on ne résistait pas à l’envie de parier. Si on avait de l’argent, on était sur un nuage. Il y avait un dénommé Stacy, un type d’une cinquantaine d’années, qui avait du fric plein les poches. Il couvrait tous les paris. “Hé, gamin, tu paries qu’ils vont faire un inning ?” On n’osait pas se dérober, la fierté l’emportait, on pariait, et on payait le prix fort. Stacy vous faisait toujours cracher.

En d’autres termes, dès qu’il s’agissait de jeu, le Gaucher croyait à tout sauf au hasard. Le hasard, c’était l’ennemi. Le hasard, c’était la tentation, le murmure séducteur qui vous éloigne des statistiques. Le Gaucher apprit très tôt que s’il voulait devenir un joueur professionnel, il lui fallait à tout prix exclure le hasard, le plus infime soit-il, de toute opération.

Le rêve de ceux qui se retrouvent à la tête d’un casino, ou même plus simplement de ceux qui y travaillent, est d’imaginer l’astuce infaillible pour délester la salle des comptes de son butin. Au cours des ans, diverses méthodes ont été employées : propriétaire faisant main basse sur la clef des caisses métalliques, ou employés qui s’emparent de pleines poignées de billets avant même que les caisses ne soient comptées.

Quiconque travaille dans la salle des comptes arbore l’air hagard de celui qui lutte avec une volonté de fer contre les tentations que procurent la vision, l’odeur et la manipulation quotidienne de l’argent. Des tonnes d’argent. Des montagnes d’argent. Des monceaux de billets, des caisses de pièces si lourdes qu’il faut des diables hydrauliques pour transporter le colossal butin à travers la salle des comptes.

Il était responsable de la plus grande entreprise de jeux du Nevada. Il était célèbre pour avoir introduit les paris sportifs à Las Vegas, un fait d’armes qui le classe parmi les visionnaires dans l’histoire de la ville. C’était le roi du jeu, c’était lui qui fixait les cotes.