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Critique de Musa_aka_Cthulie


Comme je l'avais précisé dans la critique des Géants de la montagne, c'était compliqué pour moi de savoir si La Fable de l'enfant échangé que j'avais sous les yeux était bien une pièce de théâtre, ou bien un livret d'opéra. À la lecture, ça ne ressemble guère à un livret (j'en ai lu très peu, c'est vrai) et il me paraît clair maintenant qu'il s'agit bien de théâtre, même si la pièce est connue surtout pour avoir été mise en musique par Malipiero - et censurée dès sa première représentation par le régime fasciste, en 1934. Quand on lit le texte, on pense, plutôt qu'à un opéra, à une forme de théâtre accompagné de musique tel que Mère Courage et ses enfants, où des chansons ponctuent les dialogues de temps à autre.


Je reviens vite fait sur la genèse, que j'ai déjà pas mal esquissée dans ma précédente critique. En 1902, dans le recueil Nouvelles pour une année, Pirandello publie une nouvelle très sombre sur une femme persuadée que son superbe enfant a été enlevée par les Dames, êtres surnaturels, pour lui substituer un enfant tout moche et rabougri. Cette substitution supposée, obsession de la mère et à laquelle tout le monde croit, va faire le malheur de l'enfant, grandissant délaissé.


Environ trente ans plus tard, Pirandello écrit La Fable de l'enfant échangé, non pas pour en faire un livret d'opéra, mais vraisemblablement pour préparer un autre projet de pièce, plus ambitieux, avec mise en abyme : dans Les Géants de la montagne, des comédiens joueront, ou essaieront de jouer jusqu'à l'obsession, La Fable de l'enfant échangé. C'est donc principalement, non, pas principalement, uniquement parce que je comptais lire Les Géants de la montagne, puis parce que j'avais enfin lu cette toute dernière pièce de Pirandello, que je me suis intéressée à La Fable de l'enfant échangé.


L'intrigue commence comme dans la nouvelle : une femme sicilienne est persuadée, suivant les légendes locales, que son enfant blond au teint frais lui a été enlevé par celles qu'on appelle les Dames, et qu'elles l'ont remplacé par un enfant mal formé, brun, malingre et moche. Les voisines croient complètement à cette histoire de substitution, et la femme n'en démord pas : elle veut retrouver son véritable fils (oui, c'est marrant, dans toutes ces légendes d'enfant substitué, c'est toujours un fils qu'on enlève). On lui présente donc Vanna Scoma, sorcière réputée pour communiquer la nuit avec les Dames. Vanna Scoma révélera - ce qui est une supercherie, on l'apprendra ensuite - que le véritable fils de la femme est élevé par un roi, et qu'il sera heureux à la seule condition qu'elle-même élève l'enfant difforme avec grand soin. du sort du pauvre enfant rejeté dépendra donc celui du "véritable" enfant. C'est là ruse de Vanna Scoma pour que la femme s'attache à l'enfant difforme. Ce qui ne fonctionne pas, mais alors pas du tout. Si l'enfant difforme, devenu un homme, ne semble pas malheureux, il est clair qu'il n'intéresse pas sa mère plus que ça, et il est une sorte de bouffon pour la communauté. C'est là qu'un prince d'une contrée lointaine débarque, affligé d'un mal de vivre dont il est incapable de se débarrasser. La rencontre de la mère et du prince devient donc une bouée de sauvetage pour eux deux : l'une croit de toute façon que le prince est son fils, et le prince décide de croire qu'il est le fils de cette femme. Il suffit de croire.


C'est à mon sens moins intéressant que la nouvelle de L'Enfant échangé, et moins intéressant que Les Géants de la montagne, sans doute parce que La Fable de l'enfant échangé n'a été principalement pensée que pour nourrir un autre projet. Elle a cela dit sa vie propre, entre la nouvelle et la pièce ultime, ne serait-ce que parce qu'elle va vers une conclusion qui est l'antithèse de la nouvelle : la croyance peut être salutaire - elle était mortifère dans L'Enfant échangé. Un même sujet peut en tout cas porter des messages différents, et dans le cas de cette pièce, ce message-là va s'accorder parfaitement avec Les Géants de la montagne.


Le défaut de la pièce, ce serait de ne tendre finalement, à mon sens, que vers cette conclusion, et de ne pas assez exploiter d'autres thématiques. Et pourtant, il y a comme un malaise, sur lequel on passe assez rapidement, dans cette pièce où, pour finir, l'enfant difforme va servir de substitut, décidément, pour remplacer le prince, en bouffon dont personne ne se soucie - surtout pas sa mère. le personnage de Vanna Scoma aurait pu être étoffé pour appuyer ce motif, puisque c'est celle qui a imaginé qu'alimenter la croyance de la femme en imposant des conditions basées sur la superstition allait être salutaire pour l'enfant difforme.


Comme il est très difficile sans documentation d'aller bien loin dans l'analyse de la Fable de l'enfant échangé, qui a tout de même été jouée, qui a tout de même suffisamment déplu à Mussolini à cause du message qu'elle véhiculait, j'en suis réduite à me demander si je dois la considérer comme simple document participant à l'élaboration des Géants de la montagne, ou lui accorder plus d'importance et la prendre comme une oeuvre à part entière...



Challenge Théâtre 2020
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