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Critique de Musa_aka_Cthulie


Se Trouver a été composée en 1932 et dédiée par Pirandello à Marta Abba, une jeune actrice qui fut, selon lui, le grand amour (platonique) de sa vie, et ce n'est probablement pas par hasard, puisque le personnage de cette pièce est une comédienne de théâtre. On range la pièce, à raison, dans la période du méta-théâtre de Pirandello, mais elle comporte la particularité de ne se concentrer que sur un seul personnage. du méta-théâtre intimiste, en somme.


Donata Genzi, jeune, belle, talentueuse comédienne, en pleine gloire, s'étiole de l'intérieur à force de se sentir vide. Elle n'a pas de vie personnelle en dehors du théâtre, surtout elle n'arrive pas à en avoir une, et voilà qui la ronge de l'intérieur. Elle en vient à essayer de mourir (ah oui, tout de suite on tombe dans le drame !), alors que le bateau sur lequel elle se trouve fait naufrage. Mais elle est sauvée par Elj Nielsen, initiateur de la sortie en bateau sur mer houleuse. S'ensuit ce qui paraît être un coup de foudre, une histoire d'amour qui semble démarrer sous les plus parfaits auspices. Mais il s'avère que Elj ne comprend pas Donata, qu'il est même peut-être le seul à ne pas la comprendre du tout parce qu'il ne l'a jamais vue jouer, et qu'elle-même continue à se sentir vide, à ne pas savoir qui elle est, alors qu'elle espérait que cette histoire d'amour l'aiderait à se trouver. D'ailleurs est-ce que ces deux-là s'aiment ? Voilà qui est douteux. Lui veut qu'elle arrête le théâtre, elle veut savoir si elle peut vivre sans jouer, et elle décide de tenter une expérience : jouer devant Elj, afin de lui montrer ce dont il ne se doute pas - tous ses gestes d'amoureuse, par exemple, elle les a déjà utilisés, répétés, affinés en tant qu'actrice. Montrer ça à Elj, c'est savoir si elle est du côté de la vie ou du côté du théâtre. On découvrira à la fin qu'elle finit par "se trouver" dans les deux réunis, mais l'incompréhension d'Elj met fin à leur histoire.


Je suis ressortie mitigée de cette lecture. D'abord, Pirandello et le méta-théâtre, j'y vais sur le bout des pieds - Les Géants de la montagne étant une pièce beaucoup plus riche que les autres, à mon sens, et qui va au-delà du méta-théâtre. Ici, le fait que toute la réflexion sur le théâtre se porte sur un seul et même personnage laissait augurer plus de subtilité que dans certaines autres, où il est question de théâtre dans le théâtre, de la société qui nous oblige à porter des masques (au sens figuré, entendons-nous bien, hum), etc. C'est pas tout à fait à la hauteur de ce que j'attendais.


Certes, on retrouve des motifs pirandelliens qui ne sont pas sans intérêt. Sont-il poussés à leur limite ? Sans doute pas. Pour exemple, Giviero qui affirme que son neveu Elj vit constamment dans un rêve et ne se soucie jamais des contingences matérielles. Oui, bien, mais Elj est loin d'être le charismatique Cotrone des Géants, et tout cela ne nous amène pas à grand-chose, si ce n'est de révéler que Elj ne veut surtout pas voir Donata sur scène - en gros, il ne veut pas savoir qui elle est, c'est pas très difficile à comprendre. Plus attirant est le personnage de Donata - et c'est heureux, c'est quand même le personnage principal -, et certaines de ses réflexions interpellent, notamment, sur le corps, sur la façon dont elle le voit , ne le voit pas ou ne veut pas le voir, sur le fait qu'elle n'est qu'un corps entre les mains d'Elj et que la vie, ça ne doit sûrement pas être ça. Ce qui lui confirme son amie Elisa, qui lui révèle que les hommes ont pris le pouvoir sur les femmes leur faisant croire qu'ils étaient seuls à pouvoir leur procurer du plaisir (je résume). Il y a de la critique sociale là-dedans, et une interrogation sur les rapports hommes/femmes, aucun doute, qui peut-être trouve son apogée avec la fuite de Elj. Mais le sujet de la pièce n'est pas là.


Le sujet, c'est bien cet égarement de Donata qui se sent comme une coquille vide, qui s'est persuadée que l'amour pouvait lui procurer l'expérience d'une vie à elle, qui lui permettrait de se trouver. Et bon, les répliques de Donata prennent malheureusement la forme de monologues longuets (pas seulement les siennes, d'ailleurs), vaporeux, troubles, vagues, brumeux, nébuleux, qui nous plongent dans un questionnement intérieur qui en devient souvent grandiloquent, emphatique, trop solennel pour que Donata inspire l'empathie - or, c'est un personnage construit pour réclamer et attirer l'empathie des autres personnages, mais aussi des lecteurs et spectateurs. Elle reste figée, en quelque sorte, dans une pose hiératique dont elle ne se départira pas, même au moment où elle est censée avoir triomphé, s'être trouvée et ouverte à la vie selon sa propre voie. Et je suis resté en quelque sorte figée avec elle.



Challenge Théâtre 2020
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