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Critique de sylviedoc


En ce jour où le tyran russe s'assure peu glorieusement un mandat de plus, ayant éliminé toute opposition par le meurtre ou la "dissuasion musclée", je me décide enfin à poster mon retour sur ce petit livre terminé il y a une dizaine de jours. Et puis sa couverture est très rouge, tout comme celle de "Rita", chroniqué un peu plus tôt.
Attention, quand je dis "petit livre", rien à voir avec sa qualité, mais avec le format et le nombre assez peu élevé de pages (250, avec un texte resserré en milieu de page et de grandes marges).

L'histoire, vous en avez peut-être déjà entendu parler : les soeurs Khatchatourian : Krestina, Angelina et Maria, âgées de 17, 18 et 19 ans ont tué leur père en 2019 après des années de sévices, alors que tout l'entourage connaissait leur terrible situation, mais voilà, en Russie la violence familiale et conjugale n'est pas pénalisée, on peut battre femme et enfants, les torturer ou en abuser, leurs plaintes ne seront pas entendues. Pire : elles peuvent être accusées de diffamation et se retrouver en prison...

Laura Poggioli a choisi de raconter cette histoire vraie en retraçant les prémisses qui ont abouti à cette nuit de trop où les soeurs ont fini par se délivrer de leur bourreau. Elle remonte 11 ans en arrière et entrelace le récit des malheurs de la famille Khatchatourian avec ses propres séjours à Moscou. En effet, passionnée par la langue et la culture russe, elle a effectué une partie de ses études sur place, et y a également rencontré son premier amour, Mittia. Pourquoi ce choix, qui m'a tout d'abord surpris (et un peu déstabilisée) ? Parce qu'à travers cette relation, elle a découvert la réalité du quotidien de nombreuses femmes russes, qui lorsqu'elles sont battues ou maltraitées n'ont bien souvent aucun recours, n'étant pas entendues par la police et la justice qui donneront systématiquement raison à l'homme. Elle-même a subi la violence de Mittia, et n'a pas su se rebeller, pensant même qu'elle était fautive.

Cette attitude m'a d'abord énervée, mais elle explique bien le mécanisme pernicieux de cette "culture" patriarcale où elle a baigné pendant des années et qui l'a comme anesthésiée. En évoquant son propre vécu parallèlement à celui des soeurs, elle met en évidence plusieurs facettes de l'emprise exercée par les pères, maris, petits amis ou cousins sur les femmes de leur entourage. L'autorité russe estime que l'attitude occidentale (mouvement #meetoo par exemple) est synonyme de faiblesse et veut montrer que "chez eux, on sait se tenir, et ce qui concerne la famille reste chez soi". Mais le procès des soeurs Khatchatourian aurait peut-être pu ébranler certaines certitudes, puisqu'aux dernières nouvelles (avant l'envahissement de l'Ukraine), la légitime défense était envisagée, seul cas de figure qui pouvait leur éviter une condamnation à la prison. A l'heure actuelle bien sûr, on n'en entend plus parler, on sait seulement que la plus jeune a été reconnue irresponsable, et a pu rejoindre sa mère. A l'origine, la qualification de meurtre en réunion avec préméditation devait leur valoir une peine de 20 ans de réclusion...

J'ai apprécié les nuances de l'auteure sur son expérience en Russie, elle sait mettre aussi en évidence les bons côtés de la vie à Moscou pour les étudiants (attention, on parle bien de la vie avant la déclaration de guerre à l'Ukraine, le livre a été terminé juste avant), la richesse de la culture russe.
Par contre j'aurais préféré que le livre soit plus centré sur la vie de la famille Khatchtourian, le parallèle avec les violences subies par l'auteure me semble quand même un peu disproportionné, sans vouloir nier sa souffrance. Mais elle évoque aussi d'autres épisodes de sa jeunesse ( en France) qui pour moi n'ont pas leur place ici. mais c'est son premierlivre, on retiendra son mérite d'avoir mis en lumière un drame bien représentatif de ce qui se passe encore bien trop souvent derrière les portes fermées des foyers russes.
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