AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de R2N2


Jean-Bernard Pouy n'a jamais écrit La mauvaise graine. Non, je ne lance pas une tonitruante accusation de plagiat, je n'initie pas un jibégate. Il a bien écrit – du moins je n'ai pas d'information contraire – les quatre nouvelles de ce volume, mais elles sont extraites d'un autre recueil plus conséquent publié en 2001 et intitulé Les Roubignoles du destin. Cinq ans plus tard, Gallimar en a extrait quatre nouvelles qu'ils ont publié dans la collection Folio 2€. Ça fait donc un livre court (à peine cent pages) qui aura l'avantage de ne pas effrayer les gens dotés de peu d'endurance ou de peu de temps pour la lecture, financièrement accessible, facilement transportable… et de bonne qualité!
La mauvaise graine

La première nouvelle, qui donne son nom au volume, tourne autour d'un thème classique chez Pouy: les fossés générationnels et culturels, l'incommunicabilité dans la sphère intime et familiale… Elle a par contre pour toile de fond une sous-culture plus inhabituelle: les batcave. le personnage du père (donc le père-sonnage) apporte son lot de nuances, se voulant à la fois ouvert, bienveillant et protecteur, n'arrivant pas à être autre chose qu'un vieux con paternaliste dégoulinant de bons sentiments. le fils et ses potes, eux, ne font pas dans la nuance. le tout est sombre et drôle à la fois, ce qui le rend encore plus cruel.
L'équarrisseur

La deuxième nouvelle illustre peut-être ce pour quoi est fait ce format. Elle pourrait n'être qu'une anecdote au sein d'un roman, qui marquerait à sa lecture mais serait déjà quasiment oubliée à la scène suivante. Là, Pouy en fait un tout, ce qui donne toute sa force à la scène. Certains trouveront ce texte trop fleur bleue, moi c'est justement ce que j'aime chez Pouy, cette capacité à être touchant sans être neuneu, à faire du noir puisqu'il décrit sans faux-jour notre société mais à quand même y insérer des touches d'humanité, la fenêtre ouverte, la fenêtre éclairée dont parle Éluard dans La nuit n'est jamais complète.
L'ABC du métier

La troisième nouvelle vient nous rappeler que JB Pouy est avant tout un styliste et qu'il fait partie des oulipistes. Nous avons là un très bel exercice de contrainte littéraire. Ici la contrainte saute aux yeux, pas besoin de la chercher des heures, elle n'est pour autant pas simple à tenir de bout en bout. Surtout, la nouvelle n'est pas qu'un prétexte à un coup de frime stylistique. Elle aurait tout son intérêt sans la contrainte, racontant une histoire plaisante d'une manière qui l'est encore plus. Des fois, ce que je reproche aux auteurs et autrices maniant la contrainte, c'est que le texte est uniquement au service de la dite contrainte, abscons, difficile à lire et au final si ennuyeux que c'est la lecture qui devient une contrainte. Ici, à l'inverse, la contrainte est entièrement au service de la nouvelle, poussant à enrichir le champ lexical en utilisant un vocabulaire trop peu usité, des sonorités rares, des formes verbales qui changent. C'est drôle et poétique à la fois, mais toujours une nouvelle noire.
Manus militari

La dernière nouvelle dira quelque chose aux fans de la série des Spinoza encule Hegel, puisqu'on y retrouve (ou plutôt on y trouve déjà puisque la nouvelle a été publiée 5 ans avant le livre) l'univers de base du 3ème opus de la série Avec une poignée de sable. Bon, de fait, si vous avez déjà lu le bouquin la nouvelle perd un peu de son intérêt, quoiqu'elle permette de faire remonter de bons souvenirs de lecture à la surface. Ce qu'il y a de marquant dans cette nouvelle, c'est cette capacité de faire naître en quelques pages seulement tout un univers avec ses codes, ses valeurs…
La mauvaise graine, et bien j'en suis

En conclusion (on est un con, éclusons!), voilà un petit plaisir vite avalé mais qui est plutôt long en bouche et qui fait du bien par où il passe. En quatre nouvelles, ça permet de faire à la fois un petit tour (je ne dis pas qu'il est complet, heureusement) des possibilités offertes par la nouvelle, mais aussi des différentes facettes d'un auteur phare du néo-polar, dont ces quatre textes sont assez représentatifs. Je précise que j'avais acheté ce bouquin 50 centimes d'euros chez un bouquinistes, comme quoi on n'est pas obligé de se ruiner pour lire des trucs sympa.
Chronique initialement publiée sur https://romancerougenouvellesnoires.wordpress.com/2018/12/16/r2n2-exhume-la-mauvaise-graine-de-jean-bernard-pouy/
Lien : https://romancerougenouvelle..
Commenter  J’apprécie          30



Ont apprécié cette critique (3)voir plus




{* *}