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Critique de motspourmots


C'est le récit d'une expédition dans une région de la Sibérie orientale que les russes appellent "l'enfer blanc" à cause du climat et de son histoire qui se confond avec celle du Goulag de la Kolyma. C'est le sujet du documentaire que réalise Michaël Prazan qui débarque avec son équipe à Iakoutsk après six heures de vol depuis Moscou sous des températures glaciales d'un mois de février. Ils s'apprêtent à partir sur les traces de ce Goulag à travers les ruines, les petits musées de bric et de broc qui jalonnent la route et bien sûr les habitants dont l'existence est marquée par ce passé récent. C'est une équipe qui se connait bien, avec notamment Asia, installée en France mais née en Sibérie et habile à résoudre les contretemps administratifs qui ne manquent pas de pimenter l'aventure. Asia dont l'adolescence a été éclairée par l'oeuvre de Varlam Chalamov, écrivain déporté comme nombre d'intellectuels victimes de la politique de Staline, et qui, une fois libéré écrivit Les récits de la Kolyma, témoignage littéraire poignant et source d'étude pour les historiens. Un survivant, un miraculé. L'ombre de Chalamov plane sur ce voyage alors, quand sur la route gelée Asia fait soudain arrêter le véhicule qui les transporte pour secourir un petit chat blessé et à moitié mort de froid, l'évidence s'impose à l'auteur : on le prénomme Varlam.

C'est le récit d'une rencontre entre le présent et le passé, qui nous fait remonter le temps pour mieux comprendre l'histoire récente de la Russie à l'aune des politiques de terreur qui ont contribué à formater un territoire. Ceux qui étaient envoyés au Goulag, les Zeks étaient employés à construire la route dite "de la Kolyma" ou "des ossements" car elle se confond avec les restes de ceux qui mouraient à la tâche. Les témoignages des survivants, ceux des écrivains, ceux des témoins plus ou moins directs viennent peu à peu mettre en évidence la réalité du quotidien dans ces contrées hostiles. le récit est dense, documenté, extrêmement fort car il respecte aussi les silences. On y sent la patte du réalisateur habitué à écouter, à regarder et à se laisser imprégner. J'ai appris énormément de choses et apprécié la mise en perspective proposée par l'auteur. Au milieu des ruines encore fumantes de cet enfer, quelle qu'en soit la couleur, suivre les progrès du frêle Varlam et la relation qui se noue peu à peu entre lui et Michaël Prazan fait figure de temps de respiration. C'est donc aussi le récit d'une rencontre improbable entre un homme qui n'aimait pas spécialement les chats et une bestiole qui lui prouvera le contraire. L'émergence de la vie parmi les ruines, le miracle renouvelé de la survie.

Un récit absolument remarquable, dont on ressent les conditions extrêmes, dont on ressort plus instruit et avec l'impression d'une meilleure compréhension des enjeux actuels, qui peut même donner envie de lire Chalamov et ses acolytes auxquels est dédié un "Musée des écrivains du Goulag" dans un petit village de la région. Comme le dit sa conservatrice "c'est grâce à eux si nous pouvons connaître la vérité sur ce qu'il s'est passé". Quant à Varlam le chat, rescapé de la route des ossements, il veille désormais sur la plume de celui qui témoigne à son tour.
Lien : http://www.motspourmots.fr/2..
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