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Critique de AMR_La_Pirate


C'est avec plaisir que j'exhume mes notes de lectures sur Un Amour de Swann de Marcel Proust. C'est par ce roman que j'ai découvert La Recherche du temps perdu il y a déjà quelques années…
Ce livre est particulier dans la série car c'est le seul qui n'est pas écrit à la première personne ; c'est une sorte de parenthèse qui raconte la relation entre Swann, un dilettante mondain, cultivé, amateur d'art et Odette de Crécy, une jeune femme peu farouche au passé déjà lourd, une " cocotte ", leur amour puis leur mariage. Ces évènements ont lieu avant même la naissance du héros principal.

L'amour, cité dès le titre, est un des noeuds thématiques du récit. À ce propos, l'article indéfini du titre me questionne car il donne à penser qu'il s'agit d'un amour parmi d'autres et non d'un grand amour.
La trame narrative ne suit pas les codes mais les revisite. Ainsi, la rencontre est escamotée, l'effet produit par Odette sur Swann est à l'opposé de l'effet habituel d'un amour naissant ; il faudra le prisme du rêve et de l'imaginaire pour donner réalité à la relation. Par la suite, il n'y a pas vraiment d'action à proprement parler : nous sommes chez Proust et c'est la psychologie qui prime et donc, la vie intérieure de Swann. L'amour devient une abstraction, une " chose mentale ". Chez tout autre que Proust, ce livre serait l'histoire d'une cocotte et d'un grand bourgeois, un roman de moeurs à la belle époque ; ici, c'est une invention de Swann, une histoire qu'il se raconte à lui-même. En effet, on ne sait rien des sentiments d'Odette.
L'amour est toujours une souffrance, causée par le manque de communication, l'incompréhension de l'autre. Proust renouvelle la métaphore de la maladie d'amour ; chez lui, la blessure classique devient un cas médical non " opérable ", une contamination. Paradoxalement, le mariage concrétise la fin de l'amour.
Dans mon souvenir, j'associe ce roman à la musique de Vinteuil, inspirée par celle de Saint-Saëns et de César Franck. Elle structure le récit et symbolise la rencontre puis le développement de l'amour par la petite phrase entêtante qui traduit successivement l'émoi, le dépit, la consolation. Quand la jalousie apparaît, Wagner remplace Vinteuil ; quand il n'y a plus d'amour, le silence se fait.

Après l'amour, vient le thème de l'art qui permet de s'élever dans la société, d'y prendre un certain pouvoir. L'art devient un marqueur social et culturel.
Swann a raté sa vocation d'artiste : il se contente de cultiver l'art, de vivre de ses critiques.
Les Verdurin sont des consommateurs d'art, des amateurs qui en font un usage vaniteux et y voient un signe extérieur de richesse et de noblesse. Dans leur clan, l'art est un rituel, une arme de guerre contre les autres salons ou coteries. Chez eux, l'art est une comédie où le goût n'a rien à voir ; au contraire, c'est un révélateur de leur sottise et de leur ostentation.
Odette ne comprend rien à l'art mais elle sait s'en servir comme moyen de pression pour faire souffrir son amant, par exemple. Si Swann tombe amoureux d'elle, c'est parce qu'elle ressemble à un tableau de Botticelli. L'Odette imaginée et sublimée supplante la véritable Odette dans son esprit. Elle devient une oeuvre d'art puisque Swann a simplement reporté sur elle son désir artistique.

Les thèmes de l'écriture et du langage, omniprésents dans tout le cycle de la Recherche sont aussi mis en lumière. Il ne s'agit pas de relater des faits, mais des sensations. L'écriture proustienne est en ce sens particulière et intéressante même si cela conduit à des romans où il ne se passe rien, où tout est métaphore.
Le personnage de Cottard avec ses mauvais calembours, ses temps de réactions, ses maladresses, son ignorance des usages mondains, son ridicule est un révélateur de l'importance du langage. L'approche volontairement caricaturale de Proust se veut satirique du monde des gens ordinaires.
Marcel Proust se met lui-même en scène à travers Swann qui lui ressemble assez ; c'est une façon de se représenter comme face à un miroir, de s'analyser et surtout d'affirmer sa présence au coeur du récit.

Un Amour de Swann peut se lire séparément, même si sa lecture est utile pour situer les parents de Gilberte, dont le héros tombera amoureux plus tard. Cette manière de remonter le temps permet de relier les deux histoires, de placer les deux jeunes gens sur des trajectoires parallèles.
Personnellement, j'ai du mal à cerner les personnages proustiens pourtant dotés d'une inoubliable présence. Sur la toile de fond d'une société superficielle, sans souci matériel et sans questionnement sur l'ordre social, je les vois comme des curiosités littéraires à connaître.
À lire, une fois dans sa vie.
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