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Critique de PatriceG


Emile Jourdan

Grand peintre, vraiment. Un des rares "régionaux de l'étape" à être reconnu par Gauguin à Pont Aven. Seul maître breton à écumer de son talent la contrée basse-Bretagne à cette époque (je veux bien ouvrir une parenthèse pour Maufra, peintre nantais dont Gauguin appréciait le travail de prospective).

Né à Vannes avec une cuillère d'argent dans la bouche et mort à l'hospice de Quimperlé comme un gueux. Alcoolique les vieux jours venant, bon mais ça c'était couramment répandu chez les bretons qui picolaient autant que les polonais pour alléger leur souffrance dans cette terre rugueuse, du temps où les veuves étaient pléthore : elles se conjuguaient non rarement avec tromperie en feignant de ne voir un retour de manivelle du bon Jésus !..

Il y apporte quoi alors cet Emile Jourdan que personnellement j'admire. C'est quoi sa plus value, comme on dit ? Ben d'abord d'être le rare breton à émerger à Pont-Aven et à y faire haute figure. Franchement, il n'avait pas à trouver incongrue sa présence aux côtés de Gauguin et autres grosses pointures Emile Bernard, Paul Sérusier, Jan Verkade, Gustave Loiseau, Maurice Denis .. Il y apporte enchantement, couleurs vives, précurseur participatif, des vues sur abers étourdissantes, des harmonies à la fois audacieuses et souveraines, une recherche chromatique fort talentueuse, des bleus et des rouges sur des fonds vert rembrandt, parfois le jaune s'en mêlant. Il me semble que sur une toile, on voit même un arc-en-ciel, ce qui n'a rien pour surprendre. Un fort, fort tempérament ce Emile Jourdan, cultivé qui plus est.

Je regrette qu'il n'ait pas cerné davantage ses valeurs, c'eût été prodigieux !

Petite ombre au tableau cependant, ses personnages sont lointains, microscopiques comme des mouches, les scènes en pâtissent. Il n'était pas à l'aise, semble-t-il à souligner la présence humaine dans ses toiles, au combien de caractère : on la sent absente en effet. Sa cohérence dissipera toutefois cette faiblesse, quand il sera pour tout dire dans son élément, peut-être seul avec lui-même !.. Et puis s'il fallait à son crédit considérer les toiles de Monet jusqu'en 1870, c'eût été dérisoire aussi. Il ne faut donc pas mélanger les périodes ! cela me paraît clair pour Emile Jourdan.

Il semble que tant qu'il a été dans une forme de douceur irresponsable de la vie, étant à peine capable de faire vivre sa famille d'ailleurs, et vivant aux crochets de sa mère fortunée, sa production est moyenne. Pour une fois je vais donner raison à ceux qui pensent que pour créer, il faut souffrir. Dans les années 1910, éjecté de sa location à Pont Aven, allant en bohème de village en village, c'est là que le grand peintre Emile Jourdan émerge. Des amis locaux vont tour à tour l'héberger, lui offrir le gîte et le couvert, sa petite famille l'abandonnant dans ces conditions, lit-on dans sa bio. En fait c'est plutôt lui qui l'abandonne ! Des lors, à part quelques éclaircies passagères à travers quelques mains généreuses et mécènes qui viennent à son secours, dont il ne sut vraiment tirer profit pour se remettre en selle, la pauvreté et l'alcoolisme vont avoir raison de lui et emporter son caractère indépendant et ombrageux, ombrageux comme les ciels côtiers du sud breton que l'on retrouve dans ses toiles qu'il hisse farouchement au sommet de son art avec une fierté bretonne.

En décembre 2021, soit 110 ans après la mort de l'artiste breton, je ne sais pas si le Musée de Pont-Aven avec sa nouvelle figure retouchée consacrera quelque chose à ce rare personnage du cru haut en couleur. Je suis sûr en tout cas que Gauguin là où il est lui fera un petit coucou de sa main si exigeante et puissante, de niveau cosmique.


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