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Critique de 4bis


N'avez-vous jamais rêvé de rentrer dans le quotidien de vos personnages préférés en dehors de tout drame ? Parfois, la vie sentimentale d'un inspecteur ou les relations d'une enquêtrice avec ses proches sont tellement bien croquées qu'on se plairait à imaginer qu'elles ne soient plus seulement l'arrière-plan d'une intrigue policière mais deviennent l'objet d'un roman à part entière.

Cette fantaisie est devenue réalité avec Comme une gazelle apprivoisée. Ses deux héroïnes, les demoiselles Bede, semblent en effet tout droit sorties d'un roman d'Agatha Christie avant qu'aucun meurtre ne soit commis. Dans un village d'Angleterre du début du 20e siècle, les deux soeurs, à la fleur de l'âge bien entamée par une cinquantaine assumée, vivent une confortable et convenable existence de bonnes paroissiennes.

Bien qu'assez malhabile, à ses dires, l'ainée, Belinda, participe à la préparation de la kermesse dans le jardin de son amour de jeunesse, l'archidiacre Hoccleve, un homme pompeux, paresseux et tout à fait imbuvable, ce qu'elle ne parvient pas tout à fait à nier mais qui ne lui enlève aucun des tendres sentiments qu'elle continue de lui porter secrètement. Tandis qu'elle élabore des pyramides de courges, sa soeur Harriet met la dernière main au plantureux repas qui sera servi au jeune vicaire. Harriet a une passion immodérée pour les vicaires. Elle n'aime rien tant que de les gaver de volailles et de gelée de pomme maison, leur tricoter des chaussettes grises, toujours légèrement trop grandes ou trop petites, fidèle en cela à la ligne de conduite que semblent s'être fixé toutes ces dames à l'endroit des hommes d'église qu'elles choient avec autant de zèle que d'approximation. Pour ces guirlandes de vicaires qui se succèdent au fil des ans affichant une similitude physique et morale des plus remarquables, Harriet cultive une coquetterie vestimentaire qui met en valeur ses formes rondes.

Dans le cercle étroit de leurs estimables relations, les soeurs comptent, outre l'archidiacre et le vicaire du moment, un comte italien de tout temps épris d'Harriet, un bibliothécaire, un évêque anglican, une couturière qui n'est pas tout à fait de leur monde et quelques vieilles filles qui n'ont pas leur charme. Ce petit monde s'observe, se reçoit et se jauge, passant au crible des bonnes moeurs revendiquées le moindre geste de ses voisins.
Bien sûr, tout ceci nous est raconté avec l'humour et la finesse d'analyse d'une romancière délicieusement anglaise. Ainsi cet échange avec le bibliothécaire d'un collège d'Oxford après qu'il aura précisé que le chauffage central et des cabinets de toilettes pour les dames ont été installés depuis une dizaine d'années : « « Je n'aime pas beaucoup cette attitude révérencieuse et pleine de discrétion à l'égard de notre grande bibliothèque. Après tout, elle est faite pour les êtres humains, n'est-ce pas ? – oui, je le suppose », répondit Belinda peu convaincue : elle se rappelait en effet les personnages étranges qui y travaillaient du temps où elle était étudiante et dont beaucoup, si l'on s'en tenait à leur apparence, n'auraient guère mérité ce qualificatif. »

Il parait que le vicaire se serait fiancé. Harriet est aux quatre-cents coups. Belinda renonce à tricoter un chandail pour l'élu de son coeur. La couturière a trouvé une chenille dans le gratin de chou-fleur qu'on lui a servi. L'épouse de l'archidiacre part prendre les eaux quelques semaines pour remédier à ses rhumatismes. Il n'en faut pas plus pour rendre toute chose cette brave Belinda bien qu'elle ne parvienne pas réellement à profiter de la situation. « Et pourtant, comment pouvait-on profiter pleinement de l'absence de la femme d'un archidiacre ? Aucune demoiselle vraiment respectable n'aurait pu, ni voulu, le faire. C'est ce qu'elle rappela à Harriet, laquelle, avec son obstination caractéristique, refusa de comprendre, et se contenta de souligner que nous ne rajeunissons pas. »

Et voilà qui fera l'intégralité du roman. Il sera à peine question de demandes en mariage, juste assez pour que la potentialité d'un changement rende plus rassénérant le retour à la tranquille normalité d'une vie où il ne se passe absolument rien. Mais de manière si délicate, désuète et surannée qu'on en redemanderait (presque). Il est toutefois remarquable que ce charmant roman malgré qu'il ait abordé la condition des femmes célibataires et autonomes, les colonies anglaises en Afrique, les prétentions d'une élite culturelle bien peu à même d'utiliser son bagage au service d'un regard plus clairvoyant sur le monde, n'ait strictement rien dénoncé. Peut-être que toute la charge doit être assumée par un regard amusé, à peine taquin, pas même mordant ?

Quoiqu'il en soit, après ces délices suaves et subtiles qui feraient passer une tasse de tilleul pour un alcool fort, je me suis sentie d'attaque pour entamer quelque chose d'un tout petit peu plus costaud. Quelque chose où il y ait un peu d'action, tiens.
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